mardi 2 juin 2020

Travaux // couleur d'une porte d'entrée

Ajout 2022 : une fois la peinture achevée... la couleur est proche des céramiques de l'étage.


Au "10 bis", choisir la couleur de la porte : le blanc écrase les volumes, ce qui est dommage sur un bâtiment de 1923... Un retour au bois aurait été idéal, mais un "artisan" des années 1980 a décapé maladroitement au chalumeau en brûlant 10% de la surface et la plupart des arêtes !

J'aurais aussi aimé une "peinture faux bois", selon l'usage de la reconstruction rémoise, mais visiblement les anciens élèves de l'école Blot ont mieux à faire (article de l'Union)... Ci-après, d'autres essais avec le gratuiciel Gimp... sur les classiques : bleu-vert, rouge vif, vert wagon, marron...

lundi 1 juin 2020

Travaux // restauration huisseries


Comment restaurer une vielle fenêtre ou une porte d'entrée ? Préférer revenir au bois, sauf s'il est en (très) mauvais état. Dans ce cas, mieux vaut rajouter de la peinture qu'en enlever, car c'est l'ancienne peinture qui tiendra le mieux ! Mettre à vif, garder le bois pourri pouvant être consolidé : il suffit d'utiliser un excellent durcisseur. Inutile de dépenser trop en achetant une bonne pâte à bois, c'est le durcisseur qui va relier les matériaux... C'est là qu'il faut mettre le budget, et dans la peinture.

L'astuce  selon la tradition, pour toutes les huisseries en bois : peindre le dessous pour ne pas que l'eau pénètre, sans peindre le dessus pour que l'humidité puisse ressortir ! Un petit plus : suivre le même raisonnement intérieur - extérieur. Il ne faut pas obéir au conseil "pro" contemporain des rénovateurs ; au contraire, et faire hyper-étanche à l'extérieur (vernis marin, laque brillante glycéro), mais perméable à l'intérieur (peinture micro-poreuse ou, mieux; peinture à la chaux) ; car la "façade qui respire", c'est bon pour les murs, pas pour le reste.

Ci-après, les ingrédients et la recette pour l'extérieur...


Texte politique // Complot et SARS-CoV-2



L'épidémie est sous contrôle, presque derrière nous, et la théorie du complot arrive droit devant, ultra-droit devant. Alors, le SARS-CoV-2, complot ? "Ils" le font exprès ? "Ils", ce sont "eux", "ceux" qui nous gouvernent, déguisés en Dr Knock., pour Alain Soral - "seul" face à "eux" -, crâne rasé, cuir brun, T-shirt bleu marine. Cet ancien spécialiste de la mode a - au moins - su faire un style vestimentaire : le "faf" assumé, car s'affirmer "facho", c'est aussi suivre une tendance, celle du quadra-quinqua-blanc-catho (QQBC) rongé par les idées d'extrême droite : le cucubze, compagnon idéal des nuits agitées du succube. J'ai, moi-même, cette tentation de révolte face à notre monde mou et plat à la fois, au ventre plat et aux fesses plates sans muscle. Il nous écrase et nous attendrit pour mieux nous faire entrer dans le petit écran et sa bien-pensance en deux dimensions. Tout ça est tellement éloigné des reliefs sensuels et savoureux du monde palpable ! Comme tous les néo-mâles, j'ai la tentation de manger un max de viande, de porter un gros cuir marron, d'envoyer balader le bobo et le métro', d'épouser une blonde décolorée habillée en tigresse, d'être pro-réel et anti-virtuel, pro-action anti-théorie, de faire du survivalisme dans le bois du coin, de pratiquer un sport de combat, d'abandonner l'élite, de plonger dans le peuple. Dans le monde idéal de Disney, on peut avoir légitimement envie d'aller tuer des biches, surtout le matin, pieds nus dans la rosée.

Mais non, c'est une affaire de glandes. Il faut se calmer. Pour assouvir d'éventuelles bouffées de testostérone, mieux vaut aller voir les vidéos de Vincent Lapierre, soralien défroqué, nationaliste affirmé, et diverses choses cryptées qui agacent beaucoup les anti-fa'... Je l'ai découvert suite à son implication dans le mouvement des Gilets jaunes auquel j'ai pleinement adhéré. Je n'en dirai pas plus. Et voici que ce "Jaune" s'attaque à un emblème du "Bloc", Alain Soral, lui-même, et à sa théorie du complot juif. Y'a du rififi chez les faf'... Alors : complot, pas complot, que disent les militants ultra-droitistes de "la covid" ? Soral n'y croit pas, Lapierre y croit. Et d'un complot ? Soral y croit, Lapierre n'y croit pas. Lapierre dénonce donc le paradoxe de son rival Soral en affirmant qu'il prône l'idée du complot tout en réfutant la maladie... Imparable. Lapierre inverse donc la lecture en réfutant le complot. Maintenant, regardons de biais. À la récurrente question que posent Soral et Lapierre sur le gouvernement face à la pandémie : ont-"ils"  subi ou ont-"ils" manipulé l'info(x) ? Autrement dit, "ils" sont cons ou "ils" le font exprès ? Toujours, toujours, toujours la même réponse : "ils" sont cons, inutile de chercher ailleurs. "Ils", c'est à dire "nous", car nous avons subi cette information, cette maladie, et même ce complot qui n'existe pas mais se forge dans nos propres attentes... Macron kui-même l'a subie lorsqu'il hurle, comme toujours, "Yes I can"...

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lundi 4 mai 2020

Famille // Petites histoires de migrants bretons

Phasage d'écriture : introduction - version brute                                                             04/05/20/09:00
Un portrait probable de Thimothée père, avec son fils aîné, vers 1890, à Audierne (Finistère)
fonds des éditions Palantines, La Bretagne des photographes, éd. PUR, p.205


La "généalogie" est un domaine qui ne m'a jamais passionné. Comme beaucoup de gens initiés à la "Grande Histoire", j'ai longtemps éprouvé de l'indifférence pour ce hobby. Orgueilleux autant qu'ignorant, comme beaucoup d'étudiants, je regardais l'avenir qui s'ouvrait devant moi en cultivant une forme de mépris pour les personnes âgées à la recherche d'un ancêtre plus glorieux qu'eux-mêmes. Je les croisais alors dans les bibliothèques et les salles d'archives. Leur quête auto-centrée n'était (à mes yeux alors excessivement rationalistes) qu'une affaire de yo-yo dans les probabilités, consistant à "remonter" puis "redescendre", jusqu'à ricocher sur un parent célèbre ou hors-norme...

Il me faut réviser ce point de vue, visiblement partagé par les historiens qui n'évoquent jamais les travaux menés les généalogistes amateurs. La plupart des sites de généalogistes montrent pourtant une réelle ouverture d'esprit. Personne ne semble oublier la cascade faisant de chacun d'entre-nous l'énième descendant d'un être humain. Certes, la quête des origines reste un atavisme, mais il conduit le plus souvent à découvrir un paysage social, avec hommes, femmes, enfants, et non pas seulement une célébrité, même s'il y a toujours un personnage plus séduisant que les autres : ici, Thimothée Ampart, père et fils. Souvent, celui-ci n'est ni noble, ni grand bourgeois, mais il se rattache à une "lignée". Là, un pêcheur, mais il aurait pu être sabotier, tonnelier, cultivateur, docker, navigateur, chemineau, négociant, mineur, vigneron, ouvrier dans telle usine ; dans certains cas, plus rares, sous d'autres conditions, il serait instituteur, pharmacien, ingénieur... Car Thimothée exerce l'un de ces innombrables métiers qui se transmettent en famille sur trois, quatre, parfois cinq générations, entre le milieu du XIXe. et le milieu du XXe siècles, durant cette large période de transition où la stabilité d'une culture du travail au sein de la famille, venue du temps de l'artisanat, survivait dans le mouvement perpétuel qu'impose la société industrielle.

Cette petite histoire se raconte généralement dans un cercle familial fermé, jusqu'à l'invention des "Arts et Traditions populaires", les ATP, que l'on peut interpréter comme l'ultime tentative menée pour figer les derniers instant de la société plus lente qui précédait la nôtre... Le regard s'est tout d'abord porté sur les paroles, les mémoires, les outils. Il se limitait pour l'historien de l'école des Annales et le muséologue des ATP à la transmission d'un savoir-être et d'un savoir-faire, jusqu'aux gestes des ouvriers au sein d'une grande industrie que les écomusées enregistrèrent avant leur disparition.

Quant aux "histoires de famille", elles restent par définition à l'intérieur du cercle familiale. Leur mise en récit est encore aux mains des touristes de l'histoire que sont les généalogistes et les "anciens", ceux qui se plaisent encore à raconter le passé de leurs proches (et qui n'intéresse que leurs proches). Toutefois, depuis l'apparition de "sites sociaux", chacun peut désormais investir beaucoup plus librement les espaces de parole et de mise en récit. Les démarches individuelles se multiplient, bien que les gens sérieux - chercheurs, archivistes, auteurs ou éditeurs - continuent de maintenir une distance prudente avec ces amateurs enthousiastes qui pénètrent dans "leurs" salles et publient à compte d'auteur.

Il ne faut pas voir autrement la numérisation particulièrement active des registres : il s'agit de soulager les espaces de recherche en éliminant ces "gêneurs". Mais il y a un effet de retour : Internet supprime cette barrière sociale que constituait la salle de consultation et le coin de table sous contrôle de personnels formés interdisant la présence de stylos, obligeant parfois le port de gants, vous restreignant à ne consulter que trois cartons. On peut désormais entrer anonymement sur les sites des archives, oublier le poids de préjugés réciproques, et farfouiller partout, sans retenue, en toute impunité. Quel bonheur d'être à l'abri du regard des autres.

Aujourd'hui entre deux âges, entre deux situations, je me mets à mieux comprendre ces porteurs de lunettes de dépannage et autres adeptes de larges loupes. Le "confinement" nous a peut-être tous vieilli prématurément, et j'entre aujourd'hui en intelligence avec les fanatiques des registres : la généalogie est pour eux, comme pour moi, une petite porte ouvrant sur une grande pièce, bien que je ne crois pas à la "Grande Histoire" ! Je suis, profondément, politiquement, intimement, structuraliste et, dans mon imaginaire, il n'y a peu de place pour la génétique, le déterminisme ou la hiérarchie. Il n'y a que l'ignorance qui mène à la simplification (ou cette ignorance volontaire nommée pédagogie, qui transforme pour rendre abordable). Mes "historiens" parlent plutôt de micro-histoire, d'histoire sociale, culturelle, ou de genres, certains franchissent les ponts reliant la mémoire à l'histoire. Finalement, cette histoire finit par toucher la généalogie, mais sans gène, et sans moi, car cette histoire n'est absolument pas celle de "ma famille" génétique.

Ampart // 1840-1850 - L'enfant trouvé, de Quimper à Ploaré

Phasage d'écriture : Brouillon                                                                                           04/05/20/08:00

Illustration en couverture de Pierrick Chuto, Les enfants trouvés de l'hospice de Quimper, éd. 2019 ;
extrait de Charles Marchal (1825-1877) Le dernier baiser d'une mère, 1858 - Pêcheries, musée de Fécamp


En tant que nom commun, "ampart" signifie adroit en breton. Il n'est par ailleurs jamais utilisé comme nom propre durant les deux derniers siècles, à l'exception d'une seule famille originaire du Finistère... C'est pourquoi la découverte d'un article sur le site de la BNF Retronews faisant état d'un "sieur Ampart" à Audierne répond précisément à la mémoire de cette famille, à laquelle se rattache la connaissance orale de lointains cousins résidant dans ce village... Aucun doute n'est permis quant à une filiation entre le "sieur Ampart" figurant dans la presse au XIXe siècle et l'homme ayant son portrait sur le mur d'une petite villa à la Baule.

Cette rareté du nom est l'un des éléments qui va permettre d'écrire cette histoire de migrants breton, car il n'aurait pas été aisé autrement de retracer la vie d'une personne qui se déplace, ni de suivre ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. La méthodologie est exactement à l'inverse de la généalogie et il s'avère beaucoup plus difficile de "descendre" un arbre généalogique que de le "remonter". L'administration a favorisé cette direction dans une époque obsédée par les orgines : il faut connaître les parents, mais peu importe l'avenir des enfants. Pour retrouver les "ancêtres", il suffit simplement de partir des "actes de naissance" qui précisent l'origine des deux parents, donnant ainsi la possibilité de retrouver les registres où seront inscrits les grands-parents, puis retrouver les arrières-grands-parents, et ainsi de suite. Pour retrouver un enfant, surtout s'il s'agit d'une fille dont le nom va changer, il n'y a que le hasard et les progrès des sites de généalogistes qui peuvent le permettre.

Mais une première question se pose quant aux dates des articles : les années 1880-1890... Trop loin dans le passé... Pourtant, les textes les plus complets mentionnent le bon prénom, Timothée, précisément celui de l'arrière-grand-père. Cependant, son année et son lieu de naissance ne correspondent pas : Quimper, 1843... Il ne peut s'agir d'un hasard, celui qu'une rumeur disait orphelin aurait-il un père connu ? Pourrait-il avoir vécu aussi longtemps ? Ou alors, est-ce un homonyme ?  Les question s’enchaînent. La première réponse tombe rapidement en regardant plus préciséement les articles de presse sur Retronews, dans une période plus récente : il y existe bien deux Thimothée Ampart. Le premier meurt dans la région de Douarnenez, le second apparaît une génération plus tard en Algérie. La mémoire des anciens de la famille voyait dans l'arrière-grand-père un orphelin, mais il s'agissait plus probablement d'un arrière-arrière-grand-père... Un léger glissement. Les mémoires s’effacent après trois générations.


Ampart // 1851-1866 - une jeunesse à Ploaré

Phasage d'écriture : Brouillon                                                                                           04/05/20/07:00

Ploaré 1865 par Félix Benoist dans La Bretagne contemporaine (via ebay)

Le portrait qu'offre Alain Corbin et les nombreux historiens ayant travaillé sur le littoral avant 1840, est plus poétique que toutes les descriptions qui pourront surgir en décrivant des périodes plus tardives. La décennie 1850 ouvre pleinement l'ère industrielle et amorce une époque d'objectivité et de progrès, de rationalité et de normes, voire de normalité. Les monuments qui attiraient les premiers voyageurs sont désormais des objets d'études surveillés par l'administration, captés par la Mission héliographique. Des photographies, que l'on pourrait voir comme tristement réalistes, surgissent à la place d'improbables gravures "pittoresques". Thimothée est né un peu trop tard pour que son portrait ait comme socle un discours merveilleux où se mêleraient culture antique et croyance médiévale, fusionnant dans un même tout. La rationalité qui submerge la seconde moitié de ce siècle commet un double meurtre, brûlant à petit feu la culture et la croyance. Il serait donc trop tard pour qu'un coin de ciel se mette à flamboyer à la manière d'un Turner ? Trop tard pour que la mer s'étende à l'infini, comme dans un tableau de Friedrich ? Trop tard, vraiment ?

Pas exactement, Thimothée est peut-être né exactement au bon moment. Certes, les premiers romantiques, les plus célèbres novateurs se placent une ou deux générations derrière lui, mais les esprits refusent encore d'emprunter une autre direction. Les artistes de 1850 ne sont pas post-romantique. Bien au contraire, et même s'ils apparaissent "secondaires", la plupart des créateurs entrent à leur tour dans cet élan et deviennent des "néo-romantiques". Si les photographes sont encore très rares et pour la plupart parisiens, des foules de petits Provinciaux succèdent aux célébrités et viennent dépeindre les monuments oubliés de leur région. L'époque n'est plus à l'inventivité, mais à la diffusion, à la propagation, à la contamination, autant qu'à la provincialisation. Elle est, en ce sens, déjà pleinement industrielle dans sa capacité à normaliser. On peut donc, dans chaque ville et village, trouver un "portrait romantique" de tout et de n'importe quoi. La mode est au pittoresque... Peu importe le lieu où naquit Thimothée, il en surgira toujours une gravure touchante. L'émotion n'est plus l'apanage d'une élite venue de la capitale.

Les années d'enfance et de jeunesse à Ploaré sont bien celles où la région rencontre le dessin et la peinture. Jean-Marie Villard (1828-1899), fils du menuisier de Ploaré, est lui-même saisi par cette vocation qu'il transmet à ses enfants et petits-enfants, tous peintres et photographes. La Bretagne attire alors des artistes venu du monde entier pour y saisir une forme d'authenticité. Le peintre inspiré du mouvement romantique interprète alors de trois manières différentes la dimension pittoresque d'un lieu : la lumière intérieure d'un Rembrandt (ou pénétrante d'un Vermeer) pour des intérieurs rustiques et mystérieux, la précision floue d'un Réalisme déjà proche de l’Impressionnisme pour des extérieurs sauvages et lumineux, et le retour aux perspectives classiques et hollandaises pour des scènes folkloriques prises sous une lumière douce et égale... Dix ou vingt ans avant l'école de Pont-Aven, ces trois approches ne sont pas sans évoquer les trois courants littéraires d'une typologie qui resiste au temps : le Réalisme, le Naturalisme, et l'aboutissement du Romantisme dans une ligne régionaliste...

Si ces trois courants se croisent en effet au milieu du XIXe siècle, créant un arrière plan tragique, que peut-on dire du bonheur de vivre qui pourrait animer cet enfant trouvé de Quimper ? Répond-il aux stéréotypes de son temps ? Probablement pas, car il reste volontairement aux côtés de sa famille nourricière plusieurs années après sa majorité, jusqu'à son mariage. Croise-t-il l'un de ces peintres ? Certainement, au moins le fils du menuisier... Sait-t-il lire, écrire ? Nous apprendrons plus tard que non. Sont-ils des gens croyants dans ce village ? Et Le jeune couple s'est-il mariés dans l'église de Ploaré ? C'est a espérer tant l'endroit semble encore séduisant, avec ses boiseries repeintes approximativement au moment de l'événement.

Ampart // 1870-1880 L'installation rue de Pouldavid

Phasage d'écriture :  ébauche pour plan                                                                            04/05/20/05:00
Douarnenez, 1857, par Charles Furne et Henri Tournier, fonds BNF, La Bretagne des photographes, p. 43

L'épisode de la vie de Thimothée à Douarnenez, rue de Pouldavid, attise les questions plus que les réponses, favorise la digression plus que la progression. C'est ici qu'il s'installe avec Catherine. Les deux vingtenaires interrogent ainsi l'accomplissement et la représentation d'un amour de jeunesse, ayant pour nouveau point de départ cette impulsion qu'offre la promesse d'une vie nouvelle. Lorsqu'un couple se forme, le choix du lieu où il va emménager réitère une question primordiale, pour ne pas dire animale. Dans le monde ouvert et connecté actuel, les obstacles sont rares, du moins étaient-ils rares avant que l'OMS n'invente le principe préventif de "confinement". En dehors de cette parenthèse sanitaire, et de quelques pays isolés où les libertés sont restreintes, tout "citoyen du monde" peut désormais décider d'aller loin, en fonction d'un travail, d'une rencontre, d'un langage, voire d'une préférence pour telle ville bien "réputée" ou tel pays plus "attractif"... La rupture des liens affectifs, familiaux ou amicaux, peut être amoindrie grâce aux technologies et aux facilités de déplacement. Cela reste toutefois une question de coût : tout migrant ne peut pas, ou ne veut pas, rester proche de son pays, de sa famille, de ses amis.

La question est évidement bien différente en Bretagne, au milieu du XIXe siècle, lorsque l'on est "programmé" pour devenir agriculteur ou pêcheur, que l'on a des moyens excessivement réduits, que le train ne passe pas dans le secteur, que l'on ne sait pas vraiment lire et écrire, que l'on parle breton et que l'on bredouille le français avec un fort accent... Quels choix s'offrent réellement à Thimothée et à sa compagne ? Peuvent-ils concrètement partir ? Quelles attaches peuvent se rompre ? 

On attendrait d'une région qui a produit tant de migrants une analyse exhaustive et synthétique : mais une fois de plus la littérature est aussi abondante qu'elle est excessivement ciblée. La question se concentre vite sur le départ vers Paris à l'extrême fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle : c'est la mémoire des "Bretons de Paris" appartenant aux générations couvrant les trois premiers quarts du siècle dernier qui domine, pour s'achever sur la publication du Cheval d'orgueil et la mise en image du roman par Claude Chabrol en 1980. Finalement, l'approche scientifique va glisser de la recherche historique au roman, puis à l'analyse ethnique autour d'une catégorie social qui se réinvente une identité (Annick Madec). Si le "roman régional" breton met en avant la "pauvreté" du pays d'origine, l'explication de ce pôle de migration réside aussi surement dans son extraordinaire taux de natalité. Il faudrait faire des calculs précis pour évaluer le poids de ces différents facteurs. Cela importe peu. Dans les faits, beaucoup de parents en Bretagne voient partir leurs enfants plus ou moins loin. 

Mais il faut bien le constater : Thimothée et Catherine s'éloignent très progressivement... Pour leur premier départ, ils parcourent quelques centaines de mètres ! Au second degré de l'analyse, il faut bien constater que les individus restés sur place intéressent moins, alors que la légende de la "diaspora bretonne" ne va cesser de s'étoffer par la suite... La réduction du "roman régional" à une réalité locale se situe ainsi dans un rapport de 1/1000, évaluation quantitative résultant d'une division entre la migration visible de 500 kilomètres et cette migration invisible mais concrète de 500 mètres. La part de vérité est-elle identique entre le fantasme et le factuel dans l'identité bretonne ? 

Si l'errance, pour ne pas dire la divagation d'une "romance" conduit tout simplement à repousser les limites temporelles du mouvement Romantique jusqu'aux années 1980, la réalité et la précision des faits concernant des données locales s'accroissement pourtant lorsque l'événement se rapproche de notre présent. Les tableaux figurant la prime enfance de Thimothée, plus favorables à une mise en scène éloignant la réalité, laissent alors place à un autre mode de représentation : c'est un moment où balbutie la photographie qui, petit à petit, va re-matérialiser le monde.