Affichage des articles dont le libellé est Texte architecture. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Texte architecture. Afficher tous les articles

dimanche 11 décembre 2022

Reims a échappé au pire // David Chipperfield

Image du projet autour des Halles Boulingrin, France-3

On n'avait pas encore eu la curiosité de regarder le projet de 2012 qui a fait perdre les élections à Adeline Hazan (PS) : le nouveau musée des Beaux-Arts. Il cachait - au sens propre et au sens figuré - un centre commercial, première découverte. On trouve donc un premier architecte très médiatisé dont le nom évoque  un magicien et une marque de cigarette, David Chipperfield, "Architects, founded in 1984, has four offices in London, Berlin, Milan and Shanghai." Diplômé en 1977, c'est un des derniers boomers actifs. Bientôt, il faudra les décongeler... Cette sorte de starchitecte est paradoxalement inconnu et pond des trucs informes à travers le monde depuis cinquante ans. 

Mais le pire se glisse juste derrière, un second machin, plus facilement identifiable, presque voyant, signé Henri Dumont. Il se nomme l'Agora. Oui, c'est un peu osé. Pourquoi Agora ? Certes, pas pour le symbole démocratique (car c'est purement financier et commercial), mais c'est pa' ce que y'a un trou d'dans mon ga' (excuses, mon cauchois natal remonte) Une architecture avec trou comme on tente d'en faire de la chute de Rome jusqu'au trou-des-halles, sans que ça marche, jamais  ! L'architecte qui lutte ainsi contre l'évidence est cette fois rémois, lui aussi un beau bébé boomer. Après des débuts de chef blanc dans l'Afrique noire des 70's, il produit dans les années 90's les plus désastreuses choses de la ville (et il faut le faire) : massacre du supermarché brutaliste de Tinqueux, massacre du secteur historique d'Hincmar, collège carcéral de Cormontreuil, maison paroissiale inqualifiable sis la cathédrale, massacre de la Comédie de Jean Le Couteur, etc. Une fléau architectonique qui s'abat sur le paysage rémois sous prétexte de modernit', avec toujours une ou deux bonnes générations de retard. Pitié, il fallait dégager tout ce monde.

Pour l'architecte  international, il ne faut pas manquer le mot du Moniteur pour pouvoir le comprendre (sinon, on ne peut pas, car c'est une architecture purement verbale) : "Le nouveau musée des Beaux-Arts est une étape clé du projet urbain Reims 2020. Le quartier République-Boulingrin, où le nouvel équipement de 11.287 m2 sera édifié, va se raccorder au centre et devenir un pôle culturel. Le bâtiment en trois nefs quasi identiques de Chipperfield, référence à la cathédrale [SIC], occupera toute la parcelle. Au rez-de-chaussée, une halle de 12 m de haut, fermée mais non chauffée, sera jalonnée de passerelles suspendues pour circuler autour des vestiges médiévaux mis à jour. La nef centrale sera occupée par les circulations verticales tandis que les latérales abriteront les plateaux d’exposition sur trois niveaux. Les façades translucides seront constituées de panneaux composites (verre et marbre) et de verre coulé"

Faire une boite à courants d'air, tout en massacrant en UN STRIKE l'entrée de ville + la Porte de Mars + les Halles Boulingrin, le tout avec une citation graphique pour la cathédrale (comme c'est original) et une autre pour la Grèce antique, c'est osé. Il fallait surtout des politiques profondément gogos, ou anti-rémois et désireux de bousculer les provinciaux. Perdu. Hazan, Adieu.

On ne félicitera jamais assez le maire de Reims, Arnaud Robinet, d'avoir balancé à la corbeille ces projets lamentables qui ont trouvé - grâce à lui - leur juste place dans l'histoire de l'architecture .

Ci-après, les projets en photomontage pour mesurer ces catastrophes évitées dont on fête le dixième anniversaire d'inexistence.

lundi 4 janvier 2016

Règle n°3 : le plan et les usages

plan type d'un logement économique, bioclimatique (ÉLIπ / Gencey-Chauvin, droits réservés)

Le plan intérieur du volume habitable laisse peu de place à l'initiative si l'on positionne les contraintes de simplicité et d'adaptabilité au-delà des préférences individuelles. Les volumes doivent être fusionnés au maximum afin de faciliter le chauffage des pièces. Un plan centré avec salle de séjour centrale distribuant les autres pièces est le plus économe en volume et en cloisonnement.

Plan flexible
De même que le réglage des températures ne doit pas se faire en luttant contre les conditions environnementales extérieures, l'agencement intérieur doit être flexible et adaptable à la diversité des usages, à la composition des familles d'habitants.

Séjour de distribution
Les ouvertures de deux chambres sur le séjour peuvent être très larges (cloisons pliantes ou coulissantes sur 2 ou 3 mètre) afin de servir de chambres d'enfants, de bureau, bibliothèque, salon, salle de jeux, salle à manger, salle de projection, etc. Les ouvertures de deux autres chambres, dont une en continuité avec la salle d'eau, seront plus restreintes afin de créer de l'intimité pour les adultes ou adolescents désirant plus d'intimité.

Coin feu
Largement en usage avant-guerre, le retour du coin feu au centre de l'habitation est lié à une ré-optimisation du chauffage sur un seul point de chauffe, situé entre cuisine et salle de séjour, utilisant une unique gaine verticale pouvant servir de conduit de cheminée et d'évacuation des fumées d'un poêle, d'une cuisinière ou d'une hotte ventilée naturellement.

Groupe gaine
Le groupe gaine est apparu à la faveur d'un encouragement à la préfabrication des bloc-eau, si l'aspect industrel de ce changement n'est plus forcément à retenir, le principe d'un rapprochement de l'ensemble des tuyauterie doit être conservé par économie. Elles devront être apparentes et très simples pour faciliter les remplacements et réparations par l'occupant.

dimanche 3 janvier 2016

Règle n°2 : les remplissages

modèle de gestion bioclimatique avec combles et cave(ÉLIπ / Gencey-Chauvin, droits réservés)


Les remplissages se divisent à leur tour en deux unités bien différentes : les surfaces et les volumes. Si l'on excepte le rôle "social" des cloisonnements (intérieurs), le rôle des parois donne tout son intérêt à la construction qui sert à protéger l'espace domestique des variations de température et d'humidité venant de l'extérieur. Contrairement à l'idée "moderne" de protection contre le froid et l'humidité, le registre d'adaptation (2.5) conduit à travailler la régulation plutôt que l'isolation.Ceci doit évidement se faire en adéquation avec l'environnement, suivant les principes étudiés dans le domaine de l'architecture bioclimatique. D'une manière générale, il faut considérer : 1) le sol en profondeur est toujours frais et humide ; 2) le soleil chauffe et assèche l'air dans la journée (rayonnements sur le toit l'été, et sur la façade sud l'hiver) ; 3) l'espace habitable doit être tempéré.

La différenciation cave/habitat/comble permet de gérer et de stocker de ces différentes sources d'énergie. Toutefois, contrairement à la technologie accompagnant l'architecture bioclimatique contemporaine (dans la construction industrielle), le registre de simplicité (2.1) n'est pas compatible avec l'exploitation de l'énergie solaire passant pas des systèmes très complexes (comme les panneaux photovoltaïques), moyennement complexes (pompes à chaleur, éoliennes), ou des matériaux très énergivores (grandes surfaces vitrées). De simples clapets, voir des ventilateurs et des matériaux accumulant la chaleur, suffiront à réguler une part importante des contrastes thermiques en jouant sur les différents volumes d'air.

Dans une situation moyenne, les caves (10-20°c, 50-70% hum.) et combles (30-50°c, 10-30% hum.), différenciés et isolés de l'espaces habitable (20-30°c, 40-50% hum.), pourront parfaitement servir à la régulation thermique et hygrométrique de l'habitat par un brassage efficace de l'air ainsi qu'un stockage de la chaleur diurne et de la fraîcheur nocturne.


Paroi supérieure
Pour le grenier, le toit en zinc, en ardoises noires ou en tuiles noires, représente un investissement énergétique relativement forts mais présente des avantages : eau de pluie récupérable et capte très bien la chaleur (solaire passif). Les matières biologiques (bois, chaume, tissu) représente un coût énergétique initial beaucoup plus faible mais ne présente aucun avantage bioclimatique.

Accumulateurs
Les accumulateurs jouent un rôle déterminant dans les cycles journaliers. Certaines matières avec changement de phase à basse température (sous haute pression) présentent des propriétés parfaite pour lisser les différences de température (cires).

Parois nord et sud
La paroi nord doit être parfaitement isolée puisque toujours froide et humide. Le sud laisse entrer la lumière en abondance l'hivers et plus raisonnablement l'été.

Parois est et ouest
Elle dépendront de la rose des vents et des préférences de vie. Le soleil au nord-est dans une chambre est agréable le matin, au nord-ouest le soir.





samedi 2 janvier 2016

Règle n°1 : l'ossature et le volume

Différenciation verticale des ossatures


Si le principe d'intelligibilité induit une apparence de la structure, celle-ci n'est pas obligatoirement monobloc.

superposition
La charpente sert à lutter contre la gravitation : la partie sommitale ne supporte que le toit alors que la base porte à la fois les étages, les sous-structures, les remplissages (isolants), les volumes avec les objets qu'ils contiennent - soit tout le poids de l'habitation. Cette partie inéfieure de la structure doit être la plus robuste et peut être lourde, alors que la partie supérieure peut être moins robuste mais doit être plus légère (mais bien ancrée - pour la résistance aux vents).

imbrication

...

vendredi 1 janvier 2016

Les 5 registres (ordre 2 de la construction)

Les 5 premiers principes de l'architecture "civile, morale, matérielle, intelligible, originale" restent dans les limites d'une doctrine intellectuelle assumée comme considération théorique, suivant l'analyse des conséquence d'une dérive artistique et langagière de l'architecture. Bien que ces principes soient non-immédiatement applicables, mais ils impliquent un ensemble de conditions constructives précises et des modalités techniques qui s'apparentent à des registres, pouvant s'entendre comme des normes souples.

2.1 La simplicité : être compréhensible par le plus grand nombre
L'augmentation de la complexité n'est pas un défaut dans certains domaines comme l'informatique ou la mécanique, car ces "boites noires" laissent ouvertement percevoir l'input et l'output, ceci dans une séparation nette entre l'objet et l'utilisateur (qui peut librement les activer ou désactiver). Le principe n'est plus tolérable lorsqu'il touche les individus dans leur corps et leur intimité : ce qui est le cas pour la nourriture, l'habitation, la médecine. Se nourrir de choses non-traçables, vivre dans un environnement incompréhensibles, travailler sur un projet inatteignable correspondent à des conditions métaphysiques mais elles ne doivent pas être réinventées par quelques hommes qui possèdent la maîtrise du système. L'architecture-langage est devenue une architecture-jargon, incompréhensible pour le commun des mortels. L'individu se trouve, volontairement ou non, aliéné à ces abstraction inventées par la société : la modernité n'est plus une autonomie mais une hétéronomie. Chaque homme devient totalement dépendant d'un système de consommation. Les mécaniques économiques ont ainsi recentré le monde sur la dépendance à l'argent et sur le progrès d'apparence.

2.2 Le vernaculaire (Illitch) : utiliser les ressources locales
Les règles morales et matérielles poussent à l'utilisation de matières et énergies placées à porté de main ou situées à faible distance (architecture de cueillette et bioclimatique). Les techniques qui en découlent (fabrication des matériaux et modes de construction) ne sont applicables qu'à l'endroit où le bâtiment se trouve. Il ne peut donc y avoir un modèle universel d'habitat : ni pavillon standardisé en béton, ni yourte mongole en tissu, ni chalet montagnard en bois, ni building américain en acier et verre, ni cabane de berger en pierre sèche. Chaque tradition architecturale est le fruit d'un temps, d'un lieu, d'un mode de vie, d'une culture ; les imposer ou les imiter peut s'interpréter comme colonisation ou appropriation culturelles. L'art vernaculaire est critique et ne se limite pas à un héritage ou une tradition : nos vies, techniques et exigences ne sont pas celles d'un passé endogène ou exogène.

2.3 L'architectonique et la visibilité (Perret) : distinguer structure et remplissage
S'il n'y a pas une solution architecturale unique, ou un matériau particulier à privilégier, les règles que l'on s'impose sur la matérialité et l'intelligibilité peuvent conduire à adopter des méthodes constructives récurrentes : séparer le support (structure), qui permet de définir un volume, de la surface (remplissage) qui sert à protéger l'intérieur du volume. Porter et protéger sont deux problèmes différents qui nécessitent des solutions techniques distinctes. La fusion des deux en une seule "coque" apparaît inévitablement comme une solution peu économe en matière (dôme) et dispendieuse en énergie. D'autre part, la robustesse de la structure qui obéit à la loi physique de la gravitation (et non au climat local) nécessite des matières adaptées. Ces matières distinctes doivent être visible car, sous un revêtement, n'importe quelle faiblesse peut se cacher. Si la matière apparaît, on ne peut plus ignorer les défauts ou les vertus. On peut juger la qualité. L'architecture n'est plus un langage-emballage (design) mais une construction matérielle (architectonique).

2.4 Le rationalisme bien considéré
Le coût financier d'un matériau ou d'une construction reflète à la fois les dépenses énergétiques, la main d'oeuvre et les matériaux, en fonction de leurs disponibilités. Il conviendrait de bien distinguer leurs parts respectives, mais le modèle économique actuel ne le permet pas. Toutefois, il est possible de comparer le prix du bâtiment avec son coût énergétique. Le prix d'une construction reflète l'investissement énergétique : E grise (kWh)  Prix vente neuf (€) × 3, calculable en sachant qu'une maison coûtant entre 150 k€ et 300 k€ a une énergie grise comprise entre 500.000 à 1.000.000 de kWh. Quant à l'énergie consommée, inutile de faire des bilans complexes, elle est mesurée par la facture annuelle du distributeur : E consommée (kWh/an)  Facture (€)  × 6 (le gaz est deux fois moins efficace avec le chauffage central). Réciproquement, on note qu'une énergie consommée directement (électricité : env. 0,15 €/kWh) apparaît deux fois moins chère que sa forme grise accumulée dans un chantier (0,30 €/kWh). L'énergie étant incompressible, elle explique donc 50% du prix de vente, soit la quasi-totalité des coûts réels puisque les 50% restants représentent les marges des entreprises (sous-traitants, constructeurs, vendeurs) ; ceci implique que main d'oeuvre et matériaux (soit les "ressources" humaine et matérielle, soit encore les biens naturels) sont réduits à une part négligeable dans le seul but d'augmenter les profits. Le rationalisme financier est à son sommet. Quant à l'amortissement énergétique, en économisant au mieux la consommation (10.000 kWh/an), il se fait en 100 ans, sans considérer les travaux d'entretien... En bref, il faut prendre le problème à la source, la construction, en appliquant le rationalisme à l'énergie et à la durabilité plutôt qu'aux matériaux et aux humains.

2.5 L'adaptation (des matières et matériaux) : choix en fonction de 2.1 à 2.4
Certaines catégories de matières sont présentes en partout, directement utilisables en construction : terres, roches, sables, bois, fibres. A l'exception du bois, ces matériaux ne peuvent raisonnablement s'utiliser qu'en remplissage. Leur utilisation en élément porteur suppose des transformations souvent coûteuses en énergie ou en main d'oeuvre : tressages-imbrication (paille, pierres sèches), cuisson (brique, métaux, verre, ciment), mélanges (terre-paille, bois-textile, etc.), mélanges et cuisson (mortier, béton), extraction-fusion (métaux). Le coût énergétique augmente suivant l'importance de la transformation, comme l'indiquent l'énergie grise de quelques matériaux de construction en kWh/tonne (× masse volumique en t/m3) : Torchis = 20 (×0,3 à 1,5) ; béton = 200 (×2,2 à 2,5) ; bois d’œuvre = 500 (×0,5 à 1) ; brique = 800 (×1,8 à 2) ; panneau de particules en laine de bois = 2.500 (×0,15 à 0,25) ; contreplaqué = 5.000 à 8.000 (×0,5 à 0,7) ; tôle d’acier = 7.000 (×8) ;  tôle de cuivre = 15.000 (×9) ; tôle d’aluminium = 7.000 (×2,7) ; zinc = 14.000 (×7) ; verre trempé = 7.000 (×5) ; verre non-trempé = 4.000 (×2,5)...

jeudi 31 décembre 2015

Les 5 principes (ordre 1 de la construction)

Approche ascendante (Bottom-Up)

Le basculement de la société de consommation vers la société d'information libre a des implications dans tous les domaines. L'accès sans limite aux savoirs permet à l'individu de se positionner, de mesurer à la fois la dimension de l'espace culturel collectif et sa propre part d'originalité ou de conformité. En se différenciant, il prend conscience de sa singularité et apprend à faire un choix moral indépendant. Il découvre l'homogénéité du système, ce qui le conduit à en interroger l'intérêt, voire à imaginer un complot. Individu après individu, le système est interrogé, déconstruit, et les valeurs se ré-élaborent suivant des modalités différentes, passant du Top-Down au Bottom-Up. A l'issue, la morale se détache de la logique abstraite générée par la collectivité pour se recréer dans des frictions inter-individuelles qui mène à se considérer dans une logique d'interdépendances.

Sans le filtre du système, le basculement affecte inévitablement l'espace matériel (celui-ci n'étant qu'une distinction pédagogique, destinée à mettre en avant la dissymétrie actuelle entre la disponibilité des informations et l'appropriation des matières). De fait, sans la maîtrise de la communication, la valeur d'un bien n'a plus aucun sens et l'appropriation se trouve à son tour sans objectivité. Élargissement de la notion d'abstraction à la matière,  Si le dix-neuvième siècle et le capitalisme ont été marqué comme la mise en abstraction de la matière, il est très probable que vingt-et-unième sièle sera à l'inverse une matérialisation de l'abstrait. Il y aura une re-matérialisation des savoirs.
.
Si l'architecture semble peu créative, c'est qu'elle s'est éloignée de la construction. Celui qui orchestrait les corps de métiers n'est plus qu'un "optimiseur" prisonnier entre les contraintes normatives, les calculs de RDM et les produits préfabriqués. Cet architecte ne sera bientôt plus qu'un logiciel. C'est par la construction que le métier va pouvoir renaître, en contact avec la réalité du terrain. Personne ne pourra éviter une transformation en profondeur de la construction moderne. La demande évolue. Les monuments gigantesques et abstraits ne séduisent plus. Les dépenses pharaonesques figurent des gaspillages financiers au profit de quelques riches, ceci au détriment de tous les autres et des biens communs. Si l'on souhaite que l'esprit d'invention de la modernité puisse survive, il faut enfin conscientiser les impacts de nos gestes créatifs.


1.1 Intelligibilité : une construction compréhensible
Pour juger une construction, il faut pouvoir l'observer et surtout la comprendre : celui qui construit, celui qui passe, celui qui vit. Chaque élément architectural possède une consistance et un rôle, cette consistance (matérialité) et ce rôle (support, protection, circulation) seront compréhensible afin que chacun puisse juger la qualité de la construction. L'intelligibilité n'est pas la fonctionnalité : elle ne concerne pas la fonction mais la construction, car l'usage doit pouvoir changer, le bâtiment sachant traverser les temps sans que la construction soit modifiée en profondeur.

1.2 Civilité : une architecture du devoir plus que du pouvoir
L'architecture se doit d'obéir aux règles de la vie en communauté. Elle doit avoir conscience de sa dimension morale et sociale, de son rapport à l'altérité. L'architecture du "pouvoir" qui s'est imposée au cœur du mouvement moderne peut s'allier à l'architecture du "devoir", civil et moral. Ainsi, le paysage est autant celui vu depuis l'intérieur que celui imposé aux observateurs du dehors. Le respect des autres consiste à ne pas imposer un objet considéré collectivement comme laid, non obligatoirement dans le moment immédiat mais plutôt dans l'avenir. Ce qui implique une intelligence extraordinaire de l'architecte, capable de deviner le regard du futur.

1.2 Moralité : peu d'énergie, peu de matière, beaucoup de satisfaction
Parmi les expressions morales de l'architecture, la prospective écologique se place au premier plan. Elle impose de faibles énergies d'investissement (dites grises, qui se réduisent en fonction de la durabilité du bâtiment) et de fonctionnement (consommation). Cette réduction implique au second degré une réduction optimale des matières, des transformations, des déplacements. Poussé à son paroxysme, en considérant l'homme comme adhérant pleinement à l'environnement, l'optimisation des matières peut être interprétée comme une satisfaction des hommes : le plaisir de l'ouvrier qui construit, de l'architecte qui dessine, du maître d'ouvrage qui finance, de l'homme qui y vivra immédiatement ou dans un avenir plus lointain.

1.3 Matérialité : une matière apparente
L'architecture s'est développée dans son histoire sur le mode d'une conception abstraite de l'espace et de son usage, elle a préféré les sciences sociales aux arts appliquées. Elle peut donc se réduire à une sorte d'orchestration des différentes techniques que l'architecte peut ignorer (comme un chef d'orchestre qui peut théoriquement ne pas maîtriser un instrument). Toutefois, la construction ne peut ignorer les conditions matérielles. La matière est la condition première de la construction. Contre une architecture d'emballage, un langage communicant, qui ment et cache la matière réelle (celle qui porte et celle qui protège), une construction assumée offre une matière visible et valorisée.

1.5 Originalité : prôner l'invention
Les règles précédentes sont des conditions préalables imposées par le principe de "devoir" appliqué à la construction mais ceci n’empêche pas l'invention. La civilité ne se réduit pas une politesse : respecter un environnement n'oblige pas à faire du régionalisme, respecter la matière ne conduit à refuser des matériaux nouveaux, etc. L'homme invente. L'invention participe pleinement au plaisir qui sera la seule condition de la nouvelle construction, celle qui permettra de dépasser l'état actuel d'une architecture de frustration qui s'impose à tous, du créateur à l'usager.

NOTE :
* L'indépendance de l'individu relativement au système provoque une conscience d'individualité mais elle révèle aussi la présence d'un système bien cohérent, d'une apparence tout puissante. Chacun peut croire, en un premier temps, à un "complot" alors qu'il s'agit tout simplement d'un enfermement culturel qui a fait du système un filtre unique reliant les individus à la collectivité.


mardi 29 décembre 2015

Analyse : vers une société d'information

Approche descendante (top-down)

La société d'information

Bien que l'actuelle crise des représentation de la modernité soit nommée "postmoderne", nos modèles cherchent encore à améliorer le partage et l'abondance, se rattachant en droite ligne aux idéaux démocratiques et industriels systématisés en Occident durant les deux derniers siècles. Cependant, malgré cette filiation, une part croissante de la population mondiale préfère revendiquer la "régression", mettant en avant des raisons culturelles (religieuses ou politiques) pour accuser la décadence de l'Occident, le gaspillage des biens communs, et vanter une meilleure qualité de vie dans le passé ou la nécessité de maintenir des traditions pour être heureux. Ces micro-collectivités se fondent souvent sur les derniers outils de communication et un accès indépendant aux savoirs.

Dans une surabondance globalisée de biens et d'informations, il est convenu d'accuser l'industrie de pas produire pour tous et de créer des inégalités, tout en exigeant un changement radical, alors même qu'il signifierait d'abolir jusqu'aux notions de partage et d'abondance... En tant que prolongement des doctrines modernes, cette "crise" apparaît donc plus comme un ressaut hyper-moderne tendant vers le partage optimal des biens au bénéfice de tous. Ce faux-changement prolonge en profondeur les idéaux de la "société de consommation". Toutefois, il n'est plus possible d'ignorer aujourd'hui la position globale de chaque individu au milieu des marchandises et des savoirs : ce point particulier marque le passage de "la société de consommation" vers la "société d'information" où l'accès au savoir ne passe plus par le filtre du système collectif.

Tension entre consommation et information

Le vieux modèle du progrès démocratique (promettant la paix mondiale, la fin de l'histoire, la paix économique grâce à la prospérité industrielle) est entré - l'évidence est criante depuis dix ans - dans une phase critique où la notion de progrès ne semble plus perceptible à l'échelle de l'individu. Le développement d'internet et l'apparition d'une masse d'informations non-contrôlées (à la différence des précédentes périodes de communication ou de propagande) a marqué un changement. Au fur et à mesure que les savoirs se sont démocratisées, l'opacité réelle des produits industriels est apparue comme une évidence. Si les biens et informations sont accessibles à tous, le lien rattachant les deux est impossible à établir à l'échelle de l'individu. La complexité est du système est telle qu'il n'est plus possible de trouver une explication intelligible dans les réseaux d'information.

L'individu ne peut définitivement plus expliquer le fonctionnement et l'origine des objets qui l'entourent et devient dépendant. Il lui faut soit renoncer à comprendre et jouir de l'abondance sans en comprendre les finalité, soit réclamer plus de simplicité pour tenter d'améliorer sa condition propre. De fait, la démocratisation matérielle issue des avancées de l'industrie s'est toujours rattachée à une division du travail (ouvriers) et à une spécialisation dans l'exploitation des données (ingénieurs), qui ont permis de faire progresser chaque sous-élément, mais en perdant de plus en plus la vue l'ensemble. C'est pourquoi le développement industriel, parti d'un idéal démocratique, est finalement devenu un modèle aliénant conduisant à vivre dans un environnement inintelligible, entièrement dépendant d'entreprises et d'experts qui utilisent un matériel spécialisé et un jargon incompréhensibles. L'information n'apporte pas de solution.

La singularité écologique

Le trouble culturel mondial apparaît donc lié à une surabondance d'information conduisant à la formation de niches micro-collectives radicalisées.  Ainsi, l'écologie régressive des années 1970 (qui indique à sa manière le point de départ d'une "crise post-moderne") a été rapidement absorbée par l'hyper-information et l'hyper-spécialisation technique. Restées dans les marges pendant presque trente ans, les théories avancées par les premiers écologistes deviennent des arguments communs que s'approprient les politiques, les industriels et les communicants*. Tout d'abord discrètement, puis de plus en plus bruyamment depuis le milieu des années 2000 (greenwashing), les modes "traditionnels" (comme la terre, le bois et la pierre dans la construction) prennent le dessus sur les "modernes" (béton, fer, verre) alors que leur mise en oeuvre était oubliée depuis presque deux siècles.

Bénéficiant d'un casier vierge aux yeux du public, les matières pré-modernes séduisent les consommateurs en tant que symboles d'alternative et de protestation. Elles sont écologiquement correctes car elles semblent a priori plus simples et plus honnêtes, mais la société d'information va vite polluer cette limpidité apparente. De fait, le bois industriel de construction a une énergie grise comparable à celle du béton armé et une durée de vie mal-connue (alors que l'on peut estimer celle du béton à un siècle). La plupart des isolants thermiques ont un coût environnemental important, peut-être supérieur à leur amortissement. Quant au degré de complexité des équipements techniques dits écologiques (maisons avec pompe à chaleurs, VMC double-flux, panneaux photovoltaïques, etc.), il est tellement élevé qu'il rejoint finalement celui des "boites noires" de l'industrie courante.

Vers une architecture intelligible

Le problème étant de lutter contre la séparation entre les biens et les informations, ni le greenwashing ni les matières écologiquement correctes ne peuvent constituer une réponse. L'architecture moderne est en danger car son idéal de progrès (suivant les possibilités d'invention dans les domaines artistique, technique et écologique) n'est plus compréhensible. La modernisation est aujourd'hui regardée comme un faux-prétexte destiné à généraliser l'industrialisation du monde ; monde dans lequel utilisateur et architectes sont réduits à n'être que des consommateurs comme les autres, de moins en moins créatifs, de plus en plus soumis aux produits qu'ils achètent, addictes des nouveautés présentées dans les salons spécialisés. Un constat partiellement juste dans la mesure où le métier d'architecte s'est détaché de la création matérielle pour devenir uniquement un art de combinaison, oubliant la profondeur technique pour se limiter à un "design industriel", soit à une articulation langagière et superficielle des éléments préfabriqués.

Si les architectes revendiquent le changement, la réception de l'architecture est irrémédiablement réduite à l'idée d'un emballage dans un langage incompréhensible. Ses constituants sont obscurs, hyper-élaborés, de provenance inconnue. Elle suit des normes de sécurité, d'ergonomie, d'accessibilité, de thermique, tellement complexes que seuls des ordinateurs peuvent les modéliser, tellement nombreuses qu'elles se recoupent et finissent par se contredire. Cette dérive dans le jargon et la normalisation à outrance peut être considérée comme l'ultime système de défense de la société industrielle face à la société d'information. Toutefois, l'apparition d'un "style écologique" marque l'ampleur du changement. La superficialité de l'architecture-langage, quand elle affirme un fond écologique, amplifie le contraste : si la communication continue d'affirmer une avancée artistique et écologique (face aux conventions industrielles consuméristes), toute la réalité matérielle affirme le contraire. Seule une architecture intelligible peut obtenir une légitimité.

NOTES :
* L'absorption de l'écologie par les puissances industrielles et politiques conduit aux pires paradoxe quand les groupes et pays les plus pollueurs se réunissent afin de décider des mesures écologiques à prendre : une absurdité qui apparaîtrait évidente si l'on réunissait de la même manière tous les plus grands du monde truands pour rédiger les textes fondateurs de la justice internationale.

Après la singularité / une architecture contre les normes

EliPi, ELisabeth Chauvin et Piere Gencey - construction

Dans le brouillard des idées troubles qui recouvre aujourd'hui les champs culturels, il n'est plus possible de faire confiance à un individu sous prétexte qu'une institution le présente comme expert, alors même que chacun peut prétendre avoir accès à tous les savoirs en fouillant les milliers de livres édités sur le moindre sujet, les dizaines de revues disponibles chaque semaine en kiosques, les innombrables vidéos accessibles en streaming, les millions de pages web traduites automatiquement en provenance de toute la planète. La culture fuit le cadre maîtrisé des écoles, des institutions, des grands médias ou des musées. Ce dérèglement, provoqué par un accès aux informations sans limite et sans hiérarchie, créé une sensation de perdition qui touche tous les domaines jusqu'à la sphère intime : politique, religion, médecine, alimentation, art. La maîtrise des récits contemporains échappe désormais à tout contrôle, de même que le passé n'appartient plus aux historiens officiels.

Les métiers et les savoir-faire se comptent également parmi les victimes de cette "société d'information" qui a étendu aux connaissances le principe d'horizontalité et d'abondance, autrefois revendiqué par la "société de consommation". Il devient difficile d'accepter l'ordre et l'organisation du moindre système dans le flou de la profusion des connaissances. Les professions se dissolvent. Les limites de toutes les corporations s'effacent. La moindre tradition culturelle, le moindre produit industriel, voit disparaître ses contours et apparaître les limites de son injustifiable existence. Pour s'en défendre, les grands systèmes tentent de produire des volumes d'information qui les dépassent, cherchant de cette manière à compenser l'inégalité face à la globalisation, multipliant les actes d'autorité, complexifiant les jargons.

Suivant la fable de la grenouille qui veut se faire plus grosse que le boeuf, dans une alliance inconsciente et inavouée, les grandes entreprises et les états s'entendent pour complexifier les productions et les normes afin d'assimiler l'information globale. Aujourd'hui, la technique et la norme sont si inatteignables qu'elles ne sont même plus compréhensibles par les commanditaires. Personne, ni individu, ni collectivité, ne peut en comprendre les contenus, les enjeux, les conséquences. Ce floutage apparaît au mieux comme ridicule mais il provoque le plus souvent la contestation, voire la paranoïa complotisme. Mais il est possible de contrer en signalant que l'incompréhension de notre monde n'est pas chose neuve, c'est une condition métaphysique. La nouveauté, c'est que la société d'information nous montre distinctement qu'aucun système ne peut nous guider.

L'adage socratique, celui qu'épouse Montaigne, " ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα", je sais que je ne sais rien - c'est la condition de chacun post-singularité. Alors le déni apparaît dans la séduction des extrêmes : la contestation, la paranoïa du complotisme.

La capacité à rassembler les égoïsme : ce sont des recettes simples.

Des règles faciles à transmettre, qui se diffuseront avec aisance, tout à l'inverse des normes et des produits complexes que cherchent à diffuser les institutions, les entreprises, les "grands chefs" des restaurants étoilés, dans une opacité techniques et un jargon qui ne permet plus d'accéder ou de comprendre.