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CPA Neurdein (n°206), via le blog : https://kbcpenmarch.franceserv.com/une-journee-en-peche.html |
Difficile d'explorer la vie de la famille Ampart, sans évoquer une seule fois l'activité qui marque la vie de tous ses "ancêtres": la pêche à la sardine. Elle est dans le quotidien de Thimothée père. Elle lui a été imposée, au ses strict, par une décision stratégique visant à répondre à un besoin en main d'oeuvre dans ce domaine. Sa vie est déterminée "administrativement" : l'enfant qui est placé à Douarnenez, doit devenir pêcheur de sardines. Il obéira à ce destin...
Comme d''innombrables ouvrages ont été consacré à cette pêche, se placer sous la contrainte des documents disponibles en "confinement" s'avère salvateur. Si l'on réduit encore la recherche à des textes contemporains de Timothée, le domaine peut être exploré dans des délais raisonnables.
Le plus beau livre "couronné deux fois par l'Académie" est une somme publiée à la manière d'une encyclopédie, en 1885 : le Littoral de la France par "Ch.-F. Aubert". Le ton se devine grâce au titre de la collection : la "Bibliothèque patriotique de la France". On y refait Le tour de France par deux enfants, en suivant uniquement le rivage, en le scrutant dans les moindres détails. L'école de la Troisième République cultive ici, à la perfection, l'art pédagogique de la phrase courte, de la répétition discrète, de la formule qui frappe... Thimothée savait lire et écrire depuis peu, a-t-il eu la curiosité de savoir ce que l'on enseignait sur son village et son métier dans la langue française ? Car on parlait breton à cette époque.
Dans cet ouvrage, richement illustré, la vie à Douarnenez se résume entièrement à la sardine, à son importance historique, à la manière de la pêcher, à celle de la préparer. Douarnenez fait l'objet d'une amusante comparaison : "Un adage hollandais bien connu affirme que : la ville d'Amsterdam est bâtie sur des têtes de harengs. Appliquant à la ville de Douarnenez cette parole humoristique et vraie, on peut dire qu'elle est bâtie sur des têtes de sardines. Tout s'y rapporte: passé, présent, avenir. Tout a grandi par elle, et peu d'événements auraient le pouvoir de contrebalancer les mots suivants : "Quelle sera l'issue de la campagne, cette année ?" Préoccupation bien naturelle : Douarnenez devant sa fortune à la pêche et aux industries qui en ont été la conséquence immédiate. Située, dans une position extrêmement commode, sur la baie qui a pris son nom et à l'embouchure du petit cours d'eau appelé Pouldavy, elle ne tarde guère à devenir le grand centre de trafic des nombreux villages et communes disséminés sur les côtes voisines." (Aubert, p556)
Les mots de conclusions introduisent un tout autre chapitre : "Ce dont il est impossible de se fatiguer, à Douarnenez, c'est la beauté du paysage. L'anse formée par la petite rivière de Pouldavy est ravissante de fraîcheur et d'ombrage. Le petit port de Tréboul, distant d'environ quinze cents mètres, reçoit, à l'aide des marées, les bateaux qui viennent y chercher le bois de chauffage et de construction.
Ploaré semble couronner, de son clocher, un immense amphithéâtre de montagnes couvertes par la ville et les villages dont elle est entourée. La baie ferme l'horizon..." (Aubert, VI, p.569)
Tous les paysages de l'enfance et de la jeunesse de Thimothée y figurent : l'anse de Douarnenez, l'aber de la rivière de Pouldavid, le clocher de Ploaré. Le chapitre suivant de l'ouvrage est consacré à la Pointe du Raz, à la rudesse de cet autre paysage, aux tempêtes et aux naufrages, puis à Audierne... Après avoir résumé sa vie, ce livre annonce déjà sa mort.
Ci-après, les détails de la pèche dans un récit de 1903 illustré de cartes postales des années 1910.
Comme d''innombrables ouvrages ont été consacré à cette pêche, se placer sous la contrainte des documents disponibles en "confinement" s'avère salvateur. Si l'on réduit encore la recherche à des textes contemporains de Timothée, le domaine peut être exploré dans des délais raisonnables.
Le plus beau livre "couronné deux fois par l'Académie" est une somme publiée à la manière d'une encyclopédie, en 1885 : le Littoral de la France par "Ch.-F. Aubert". Le ton se devine grâce au titre de la collection : la "Bibliothèque patriotique de la France". On y refait Le tour de France par deux enfants, en suivant uniquement le rivage, en le scrutant dans les moindres détails. L'école de la Troisième République cultive ici, à la perfection, l'art pédagogique de la phrase courte, de la répétition discrète, de la formule qui frappe... Thimothée savait lire et écrire depuis peu, a-t-il eu la curiosité de savoir ce que l'on enseignait sur son village et son métier dans la langue française ? Car on parlait breton à cette époque.
Dans cet ouvrage, richement illustré, la vie à Douarnenez se résume entièrement à la sardine, à son importance historique, à la manière de la pêcher, à celle de la préparer. Douarnenez fait l'objet d'une amusante comparaison : "Un adage hollandais bien connu affirme que : la ville d'Amsterdam est bâtie sur des têtes de harengs. Appliquant à la ville de Douarnenez cette parole humoristique et vraie, on peut dire qu'elle est bâtie sur des têtes de sardines. Tout s'y rapporte: passé, présent, avenir. Tout a grandi par elle, et peu d'événements auraient le pouvoir de contrebalancer les mots suivants : "Quelle sera l'issue de la campagne, cette année ?" Préoccupation bien naturelle : Douarnenez devant sa fortune à la pêche et aux industries qui en ont été la conséquence immédiate. Située, dans une position extrêmement commode, sur la baie qui a pris son nom et à l'embouchure du petit cours d'eau appelé Pouldavy, elle ne tarde guère à devenir le grand centre de trafic des nombreux villages et communes disséminés sur les côtes voisines." (Aubert, p556)
Les mots de conclusions introduisent un tout autre chapitre : "Ce dont il est impossible de se fatiguer, à Douarnenez, c'est la beauté du paysage. L'anse formée par la petite rivière de Pouldavy est ravissante de fraîcheur et d'ombrage. Le petit port de Tréboul, distant d'environ quinze cents mètres, reçoit, à l'aide des marées, les bateaux qui viennent y chercher le bois de chauffage et de construction.
Ploaré semble couronner, de son clocher, un immense amphithéâtre de montagnes couvertes par la ville et les villages dont elle est entourée. La baie ferme l'horizon..." (Aubert, VI, p.569)
Tous les paysages de l'enfance et de la jeunesse de Thimothée y figurent : l'anse de Douarnenez, l'aber de la rivière de Pouldavid, le clocher de Ploaré. Le chapitre suivant de l'ouvrage est consacré à la Pointe du Raz, à la rudesse de cet autre paysage, aux tempêtes et aux naufrages, puis à Audierne... Après avoir résumé sa vie, ce livre annonce déjà sa mort.
Ci-après, les détails de la pèche dans un récit de 1903 illustré de cartes postales des années 1910.
La Sardine à Douarnenez
L'histoire de la pêche à la sardine à Douarnenez, l'une des trois "grandes pêches" (avec celles de la morue et du hareng), est bien connue et constitue l'une des principales activités de la Bretagne jusqu'au début du XXe siècle. Elle anime de nombreux chroniqueurs, géographes et historiens depuis qu'elle existe ; et se trouve aujourd'hui amplement décrite dans les publications et articles en ligne. Ses origines ont également été très bien étudiées (Claude Nières, Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle, cf. infra). On en retient une société hiérarchisée à la manière de l'industrie textile, avec les pêcheurs, les patrons de pêche (propriétaires du bateau), ceux qui ont les moyens de préparer les poissons (pressage, salage...), les marchands de rogue (appât), puis les négociants au sommet...
Un sujet aussi largement fouillé mérite d'être abordé au second degré, celui de la "réception". Etant une gloire industrielle, la représentation de la pèche à la sardine devient rapidement un objet pédagogique - ce que relate l'existence d'un diaporama datant de 1903 (mis en ligne par la bibliothèque municipale de Lisieux). On y apprend les chiffres et les gestes du métier... de la pèche à la mise en boîte... Les diapositives ne sont malheureusement pas numérisées, mais il est possible d'illustrer cette description grâce aux cartes postales. L'objet pédagogique devient, par le biais du tourisme, un motif pittoresque.
Le réalisme des images progresse depuis le "loup de mer" normand que l'on transposait sur tous les fonds paysagés en y ajoutant simplement le nom d'un village normand ou breton. Dans les années 1910, les grands éditeurs de cartes, locaux (Villard) ou nationaux (Lévy, Neurdein) ne perdent rien pittoresque régional, mais le restituent avec un peu de rigueur. Les loups de mer de Douarnenez sont bien les anciens marins, ceux qui s'installent au bord du quai pour regarder les bateaux partir... Si la "maison de pécheur" est excessivement pittoresque, certaines scène tiennent du reportage illustré, comme les cartes postales Villard saisissant les moments de la pêche et du retour. Mais l'industrie aime aussi se représenter dans l'importance qu'elle acquiert : les enfants qui rangent les boites, les foules de femmes qui s'occupent du poissons, les hommes qui soudent les boités en rang, sont un symbole de réussite et un synonyme de qualité...
Ci-après le texte accompagnant le diaporama de 1903 et cartes postales des années 1910 :
Un sujet aussi largement fouillé mérite d'être abordé au second degré, celui de la "réception". Etant une gloire industrielle, la représentation de la pèche à la sardine devient rapidement un objet pédagogique - ce que relate l'existence d'un diaporama datant de 1903 (mis en ligne par la bibliothèque municipale de Lisieux). On y apprend les chiffres et les gestes du métier... de la pèche à la mise en boîte... Les diapositives ne sont malheureusement pas numérisées, mais il est possible d'illustrer cette description grâce aux cartes postales. L'objet pédagogique devient, par le biais du tourisme, un motif pittoresque.
Le réalisme des images progresse depuis le "loup de mer" normand que l'on transposait sur tous les fonds paysagés en y ajoutant simplement le nom d'un village normand ou breton. Dans les années 1910, les grands éditeurs de cartes, locaux (Villard) ou nationaux (Lévy, Neurdein) ne perdent rien pittoresque régional, mais le restituent avec un peu de rigueur. Les loups de mer de Douarnenez sont bien les anciens marins, ceux qui s'installent au bord du quai pour regarder les bateaux partir... Si la "maison de pécheur" est excessivement pittoresque, certaines scène tiennent du reportage illustré, comme les cartes postales Villard saisissant les moments de la pêche et du retour. Mais l'industrie aime aussi se représenter dans l'importance qu'elle acquiert : les enfants qui rangent les boites, les foules de femmes qui s'occupent du poissons, les hommes qui soudent les boités en rang, sont un symbole de réussite et un synonyme de qualité...
Ci-après le texte accompagnant le diaporama de 1903 et cartes postales des années 1910 :
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Maison de pêcheur à Douarnenez. CPA éd. Villard,Quimper (sans numéro) - via Delcampe.net |
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CPA Lévy et Neurdein (LL III), années 1920, via Delcampe.net |
Le port de Douarnenez.
Sur la côte sud, c'est Douarnenez. Située dans une position admirable au bord de cette vaste baie qui porte son nom et qui mesure environ 80 kilomètres de circonférence, Douarnenez est le premier port sardinier de la région. Comptant près de 9,000 habitants, Douarnenez arme pour la sardine 800 barques montées par 4,000 pêcheurs et capture environ 350 à 400 millions de sardines en moyenne valant environ neuf millions de francs. Relié par chemin de fer à Quimper, Douarnenez fait de la pêche à la sardine la base même de son existence et la voie ferrée déverse vers l'intérieur poissons salés, poissons frais et poissons conservés dont Douarnenez livre au commerce une quantité considérable durant la saison de pêche.
La flottille des barques [Camaret]
La sardine se pêche au moyen de barques dont nous avons déjà eu occasion de voir des spécimens dans les projections précédentes et dont voici de nouveaux exemplaires. La flottille que nous avons en ce moment sous les yeux est celle du petit port de Camaret. La caractéristique générale de ces barques est partout la même et les seules différences qui s'observent d'un port à l'autre sont bien plus des différences de détail que de fond. Ce sont des barques non pontées, longues environ de dix à douze mètres, gréées de deux mâts mobiles à voiles rectangulaires, armées de deux ou quatre avirons ayant à peu près la même longueur que le bateau lui-même et montées par cinq à huit hommes dont un mousse. Ces barques varient légèrement de forme suivant les localités. Celles de Camaret sont plus courtes, leurs deux mâts ont la même inclinaison, leur avant est droit, leur arrière est carré. Celles de Douarnenez sont plus longues, leur mât de misaine plus incliné que leur grand mât porte des voiles plus vastes que cette disposition fait croiser l'une sur l'autre, ce qui oblige l'équipage à amener toute la toile pour virer de bord ; leur avant est incliné en taille-mer, leur arrière est arrondi et leur gouvernail même est différent. [...] Toutes ces différences, très importantes pour l’œil exercé d'un marin, ne sont guère sensibles au simple terrien et si elles entraînent des conditions de pêche spéciales pour chaque port — comme par exemple de permettre aux Douarnenez d'aller plus loin en mer et de rester plus longtemps que les Camaretois — elles ne changent, absolument rien à la pêche elle-même.
Marins allant rejoindre les barques.
Le moment du départ arrivé, chaque équipage emmenant avec lui provisions et engins de pêche rejoint son bord, ainsi que nous le voyons ici, au moyen d'un petit canot vigoureusement manié à la godille, par un des pêcheurs.
A l'avant d'une barque sardinière.
Nous voici à bord. S'il fait un temps douteux, chaque homme a vite fait de revêtir le costume protecteur dont nous voyons ici pourvu le patron de la barque à bord de laquelle nous nous trouvons — le « ciré » ou « cirage » imperméable, vêtement gras et huilé sur lequel glissent également bien eau de pluie et eau de mer et que complète un chapeau semblable comme matière, chapeau à visière et à couvre-nuque appelé « suroît », car c'est par les mauvais temps de pluie amenés par le vent de suroît ou sud-ouest qu'on est amené à le coiffer le plus fréquemment. L'aménagement intérieur de la barque est d'une simplicité extrême : une cale couverte sous les pieds pour mettre le poisson, quelques bancs, une petite armoire à l'arrière sous la barre du gouvernail ; puis tous les engins de navigation, voiles, rames, gaffes, cordages et filets.
Parvenus sur les lieux de pêche, voici comment on procède.
Les voiles sont carguées, les mâts abattus ; l'on sort ces grands et lourds avirons quel vous apercevez ici posés à plat sur les bordages. Lentement, sans bruit, l'équipage entier se met à peser sur ces grands avirons pour mettre la barque en mouvement et, pendant ce temps seul à l'arrière, le patron debout mouille lentement ce mince filet aux mailles étroites que nous avons vu accroché pour sécher aux mâts des barques dans les différents pays que nous avons visités jusqu'ici. Ce grand filet, mesurant vingt, trente, quarante mètres de longueur sur une hauteur de huit, dix eu douze mètres, formant ainsi une nappe plus longue que haute, est fait d'un fil extrêmement ténu, parfais même en soie. Un rang de flotteurs en liège à la partie supérieure, une ligne plombée à la partie inférieure font tenir droit dans l'eau ce filet que les pêcheurs teignent en cachou, en vert ou en bleu gris. Mais la sardine qui ne se tient pas à la surface ne viendrait point toute seule se prendre dans ce filet si on ne la faisait monter en excitant sa gourmandise et sa voracité. L'appât employé par les pêcheurs pour prendre la sardine se nomme la « rogue ». La rague est composée d'œufs de morue, friandise coûteuse qui vient de Norvège en petits barils et que la sardine aime à l'exclusion de tout autre. Cet appât qui se vend un prix fort élevé n'a pas encore de remplaçants meilleur marché ; on a bien essayé diverses compositions comme par exemple de la farine d'arachides, mais le poisson ne veut que de la rogue et ne « lève » pas quand on lui donne tout autre matière. Ce sont précisément les spéculations sur la rogue — spéculations dont le résultat fut de faire monter à 130, 140,150 francs en Bretagne le baril de rogue qui à Bergen en Norvège vaut de 40 à 50 francs — qui ont été plus spécialement causes de la crise terrible traversée en 1902-1903 par la pêche sardinière et de la famine qui s'en est suivie en Bretagne. Un baril de rogue ne fait en effet que deux à trois jours de pêche et à un prix pareil les pêcheurs ne peuvent en acheter suffisamment pour rendre leur pêche productive.
Voici, pour animer par un joli tableau littéraire cette scène de la pêche, un passage que nous empruntons à un ouvrage bien connu du romancier Gustave Toudouze, un des meilleurs romans qu'il ait écrit sur la Bretagne « Péri en Mer ! ».La scène se passe précisément au large des Tas de Pois, à l'entrée de l'anse de Dinan.
« A l'avant deux hommes debout pèsent sur les avirons énormes, nageant vigoureusement contre le courant, et s'efforcent de maintenir la barque immobile à la même place pour que le filet, tendu comme un rideau à la traîne, reste immergé toujours droit ; les mâts sont couchés, les voiles repliées et roulées, toute l'embarcation rasée comme un ponton. A l'arrière, du geste superbe et régulier du semeur distribuant le grain fécondant, Hervé Guivarc'h, de la main droite puisant à pleines poignées dans un barillet placé à sa portée, jette à droite et à gauche la rogue, comme une semence précieuse lancée au sillon de la mer, où elle doit germer aussitôt et donner une moisson instantanée... Hervé a terminé sa besogne de patron, Lagadec et Tréboul manient toujours les grands avirons ; puis, au bout de quelques instants, des centaines de bulles d'air crèvent à la surface, un immense éclair d'argent luit entre deux eaux et le filet coule à pic : le poisson est pris. Doucement il est retiré, et tandis qu'un autre est immédiatement placé à l'arrière pour le remplacer, on secoue le premier, brasse par brasse, sans toucher la sardine prise par les ouïes dans les mailles ; ils savent bien que le moindre contact de la main suffit pour l'abîmer. Peu à peu tout le fond de la cale s'emplit... Le jour baisse ; les filets sont tous ramassés, l'embarcation est pleine. On remet les mâts en place, on hisse les voiles, et la « Marie-Anne », s'inclinant sous la brise qui augmente, se dirige vers le Toulinguet dont le profil se dessine au nord. » (Gustave Toudouze.)
L'arrivée des bateaux sardiniers.
Une fois la pêche — calme ou troublée par les marsouins — terminée, les bateaux en toute hâte rallient le port le plus proche : car la sardine est un poisson qui ne se conserve pas longtemps frais et il faut, aussitôt péché, aller le porter aux usines où il doit être traité. Aussi voit-on atterrir à la jetée, au môle ou au quai, les bateaux revenus du large, et, guettés par les représentants des diverses usines du port, les pêcheurs débarquent, portant leur butin méthodiquement et proprement rangé dans des petits paniers contenant chacun deux cents poissons, tandis qu'en tête de mât se balancent déjà les filets mis au sec et que, de toutes parts, arrivent de la houle mer de nouvelles barques.
Sardinerie [Sauzon, Belle-Isle]
Souvent pour que le chemin soit moins long à parcourir, l'usine à sardines, la « friture » pour lui donner son vrai nom, est installée au bord même de la mer. Tel est le cas pour cette usine que nous avons en ce moment sous les yeux et qui est un de ces établissements que l'on trouve si nombreux tout le long du littoral de la Bretagne. Nous sommes ici à Sauzon, un des petits cantons de Belle-Isle et nous voyons, au pied de l'usine si pittoresquement installée au fond de cette crique rocheuse, les barques apporter leur poisson. C'est maintenant la partie industrielle qui commence : quittons, afin de suivre ce travail, les barques sur lesquelles nous avions pris passage, et pénétrons, à la suite du poisson que nous venons de voir pécher, dans l'usine où on va lui faire subir un traitement assez compliqué.
Etêtage des sardines.
Tout d'abord, dès que nous franchissons le seuil, c'est une fade odeur ; d'huile chaude qui nous prend à la gorge. En ligne, debout de chaque côté d'une grande table creuse, deux longues files de femmes, chacune armée d'un couteau de bois, travaillent en chantant à tue-tête. Sur cette table les pêcheurs qui entrent jettent à la volée le contenu de leur panier, et d'un seul coup de leur petit tranchet de bois ces femmes appelées « friturières » (en breton « fritouzen ») arrachent à chaque sardine la tête et les entrailles. Têtes et entrailles jetées dans de larges baquets seront revendues aux pêcheurs et sous le nom de « strong » constitueront un appât excellent pour le maquereau et d'autres poissons. Ce travail des femmes est pénible, et, quand la pêche donne, le poisson ne pouvant attendre sans se perdre, se prolonge souvent fort avant dans la nuit, tandis que les chansons au refrain repris en chœur empêchent les travailleuses de s'endormir de fatigue tout debout.
Cuisson des sardines.
Une fois ainsi vidée et bien nettoyée, la sardine est cuite. « De grands feux sont allumés, dit Sauvage ; dans d'immenses chaudières chauffe de l'huile d'olives de qualité supérieure venant du midi le la France ou du sud de l'Italie. Lorsque l'huile vient à entrer en ébullition, les sardines, placées par couches dans des paniers en fil de fer, sont plongées dans les chaudières, où elles restent le temps nécessaire ; elles sont alors déposées sur des tablettes où elles s'égouttent. »
Séchage des sardines.
Aussitôt que les sardines sont bien égouttées, les paniers en fil de fer sont transportés dans la sécherie : là, placés en plein air sur des tables, sur de larges claies d'osier, ils sont exposés au vent, et en très peu de temps les poissons sont séchés ainsi. Il reste une dernière opération à faire avant de les mettre en boîte, le triage suivant la qualité et la taille. C'est cette taille qui détermine le nombre des poissons à mettre dans une boîte : or ce nombre peut être très variable ainsi que le prouvent les chiffres que voici : il est des sardines de petite taille dont il faut 80 ou 85 individus pour faire un kilogramme et d'autres de grosse taille dont une dizaine pèsent un kilogramme, avec toute la gamme intermédiaire des sardines dont, respectivement, une vingtaine, une trentaine, une quarantaine font le kilogramme.
Emboîtage des sardines.
Ces proportions arrêtées, les sardines sont enfermées en boîtes et ces boîtes sont remplies d'huile de première qualité à laquelle pour relever un peu le goût on ajoute parfois des épices. Ici s'arrête le rôle des femmes qui ont jusqu'alors suffi à toutes ces opérations. Celui des hommes commence.
Soudage des boîtes.
Les boîtes sont portées à l'atelier des soudeurs, où des hommes, chargés de ce soin, soudent le couvercle. Comme la moindre fissure donnant passage à l'air ferait gâter le poisson on vérifie chaque boite en la plongeant dans l'eau bouillante ce qui fait gondoler toutes celles dont la fermeture n'est pas étanche. Une fois toutes ces opérations terminées, on colle les étiquettes, on met en caisse et l'on n’a plus qu'à expédier à travers le monde. Comme ces boîtes de fer-blanc et ces caisses sont fabriquées à l'usine même, généralement par des enfants que l'on a initiés de bonne heure à ce travail de découpage que facilite l'emploi de machines, on voit donc que la pêche à la sardine et sa préparation font vivre un pays tout entier : pêcheurs, friturières, soudeurs, fabricants de boîtes, c'est-à-dire hommes, femmes et enfants. Toute la Bretagne côtière de Brest à Nantes, cent mille personnes en chiffres ronds, vivent de la sardine. Et comme cette pêche et cette industrie sont extrêmement exclusives, exigent un outillage spécial qu'on ne peut du jour au lendemain transformer en cas de besoin pour un autre poisson, et ne permettent guère d'autre travail, on comprend très bien comment, en cas de crise, une population entière peut se trouver, comme nous l'avons vu en 1903, acculée à la famine. Quelques chiffres montreront l'importance de cette industrie pour nous primordiale : prenant comme points extrêmes Plendiben et Noirmoutier, voici ce que la pêche de la sardine a rapporté à la Bretagne durant le seul mois d'Octobre 1898.
La pêche à la sardine [crise de 1903]
C'étaient là véritablement de bonnes années et pour qu'en 1903 ait pu se produire la crise effroyable que vous savez et dont la France est encore tout émue, il faut véritablement que les spéculations sur la rogue et l'invasion de marsouins voraces aient causé un tort inouï. Ces deux causes de misère ont failli tuer net une industrie qui est au premier chef une industrie nationale. En effet, dès 1558, un auteur, Rondelet, nous apprend que l'on conserve la sardine en France de la même manière que les anchois. Duhamel du Monceau, écrivant, au XVIIIe siècle, nous apprend qu'avant 1792 nos ancêtres saumuraient la sardine comme le hareng, mais que vers cette époque on renonçait à ce procédé pour employer une méthode, selon lui, préférable, appelée « maelstram » car elle venait de la ville de Maelstram en Norvège et qui parait être l'ancêtre immédiat de celle par laquelle, au cours du XIXe siècle, on préparait la sardine dite « pressée », industrie qui depuis quelques années a beaucoup perdu, reculant devant la préparation à l'huile. L'invention de la fabrication de la sardine à l'huile date de 1825. Dans « La Grande Pêche », Sauvage raconte en ces termes cette histoire : « Cette idée est attribuée à un honorable magistrat, juge alors au tribunal civil de Lorient qui, portant intérêt à une vieille demoiselle de sa connaissance, nommée mademoiselle Le Guillou, l'engagea à essayer de cuire et de conserver à l'huile quelques centaines de sardines, pour les envoyer à des épiciers de Paris ; l'essai réussit et la fabrication augmenta avec les demandes. Ce magistrat lui fournit par la suite les moyens de fabriquer en grand et comme l'affaire, en prenant de l'extension, rapportait de beaux bénéfices, il donna sa démission de juge, monta un établissement important à Lorient et devint le premier fabricant de Sardines à l’Huile » Nous avions donc bien raison de dire en commençant que la pêche et la préparation de la sardine sont pour nous au premier chef une pêche et une industrie nationales. Quoique ayant pour théâtre essentiel, prépondérant, la Bretagne et ses côtes, cette pêche n'est pas seulement une pêche bretonne.
Anonyme [Un Argonaute], Le Conférencier, journal mensuel de projection, n° 9 - Octobre 1903] : La Pêche à la Sardine par un Argonaute.- Paris : E. Mazo, 1903.- 16 p. ; 23 cm. ouvrage de diapositives dont le texte est disponible sur bmlisieux.com/curiosa/sardines.htm
1) Le site KBCPENMARC'H Karten Bost Coz Penmarch décrit la vie du pédheur de sardine à Douarnenez : https://kbcpenmarch.franceserv.com/une-journee-en-peche.html romancé, ponctué de recettes d'autrefois, et illustré par le classique portrait des loups de mer, avec leur large béret.
2) Le site http://jpcperso.blogspot.com/2010/07/ s'intéresse au sujet, à une famille dont le grand-père était pêcheur en 1917.
2) Le site https://turbigo-gourmandises.fr/secrets-de-fabrication-des-boites-de-sardines-connetable/ décrit une visite d'usine aujourd'hui avec un bref historique, notamment sur les "crises" lors d'absence de sardines.
Sur la côte sud, c'est Douarnenez. Située dans une position admirable au bord de cette vaste baie qui porte son nom et qui mesure environ 80 kilomètres de circonférence, Douarnenez est le premier port sardinier de la région. Comptant près de 9,000 habitants, Douarnenez arme pour la sardine 800 barques montées par 4,000 pêcheurs et capture environ 350 à 400 millions de sardines en moyenne valant environ neuf millions de francs. Relié par chemin de fer à Quimper, Douarnenez fait de la pêche à la sardine la base même de son existence et la voie ferrée déverse vers l'intérieur poissons salés, poissons frais et poissons conservés dont Douarnenez livre au commerce une quantité considérable durant la saison de pêche.
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Illustration du Grand Port, CPA Neurdein (ND 157), vers 1900, via Delcampe.net |
La flottille des barques [Camaret]
La sardine se pêche au moyen de barques dont nous avons déjà eu occasion de voir des spécimens dans les projections précédentes et dont voici de nouveaux exemplaires. La flottille que nous avons en ce moment sous les yeux est celle du petit port de Camaret. La caractéristique générale de ces barques est partout la même et les seules différences qui s'observent d'un port à l'autre sont bien plus des différences de détail que de fond. Ce sont des barques non pontées, longues environ de dix à douze mètres, gréées de deux mâts mobiles à voiles rectangulaires, armées de deux ou quatre avirons ayant à peu près la même longueur que le bateau lui-même et montées par cinq à huit hommes dont un mousse. Ces barques varient légèrement de forme suivant les localités. Celles de Camaret sont plus courtes, leurs deux mâts ont la même inclinaison, leur avant est droit, leur arrière est carré. Celles de Douarnenez sont plus longues, leur mât de misaine plus incliné que leur grand mât porte des voiles plus vastes que cette disposition fait croiser l'une sur l'autre, ce qui oblige l'équipage à amener toute la toile pour virer de bord ; leur avant est incliné en taille-mer, leur arrière est arrondi et leur gouvernail même est différent. [...] Toutes ces différences, très importantes pour l’œil exercé d'un marin, ne sont guère sensibles au simple terrien et si elles entraînent des conditions de pêche spéciales pour chaque port — comme par exemple de permettre aux Douarnenez d'aller plus loin en mer et de rester plus longtemps que les Camaretois — elles ne changent, absolument rien à la pêche elle-même.
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CPA ,Villard (n°1222), vers 1910 |
Marins allant rejoindre les barques.
Le moment du départ arrivé, chaque équipage emmenant avec lui provisions et engins de pêche rejoint son bord, ainsi que nous le voyons ici, au moyen d'un petit canot vigoureusement manié à la godille, par un des pêcheurs.
A l'avant d'une barque sardinière.
Nous voici à bord. S'il fait un temps douteux, chaque homme a vite fait de revêtir le costume protecteur dont nous voyons ici pourvu le patron de la barque à bord de laquelle nous nous trouvons — le « ciré » ou « cirage » imperméable, vêtement gras et huilé sur lequel glissent également bien eau de pluie et eau de mer et que complète un chapeau semblable comme matière, chapeau à visière et à couvre-nuque appelé « suroît », car c'est par les mauvais temps de pluie amenés par le vent de suroît ou sud-ouest qu'on est amené à le coiffer le plus fréquemment. L'aménagement intérieur de la barque est d'une simplicité extrême : une cale couverte sous les pieds pour mettre le poisson, quelques bancs, une petite armoire à l'arrière sous la barre du gouvernail ; puis tous les engins de navigation, voiles, rames, gaffes, cordages et filets.
CPA Villard, vers 1910 |
CPA Neurdein (ND 218/130), vers 1910, via Delcampe .net |
Parvenus sur les lieux de pêche, voici comment on procède.
Les voiles sont carguées, les mâts abattus ; l'on sort ces grands et lourds avirons quel vous apercevez ici posés à plat sur les bordages. Lentement, sans bruit, l'équipage entier se met à peser sur ces grands avirons pour mettre la barque en mouvement et, pendant ce temps seul à l'arrière, le patron debout mouille lentement ce mince filet aux mailles étroites que nous avons vu accroché pour sécher aux mâts des barques dans les différents pays que nous avons visités jusqu'ici. Ce grand filet, mesurant vingt, trente, quarante mètres de longueur sur une hauteur de huit, dix eu douze mètres, formant ainsi une nappe plus longue que haute, est fait d'un fil extrêmement ténu, parfais même en soie. Un rang de flotteurs en liège à la partie supérieure, une ligne plombée à la partie inférieure font tenir droit dans l'eau ce filet que les pêcheurs teignent en cachou, en vert ou en bleu gris. Mais la sardine qui ne se tient pas à la surface ne viendrait point toute seule se prendre dans ce filet si on ne la faisait monter en excitant sa gourmandise et sa voracité. L'appât employé par les pêcheurs pour prendre la sardine se nomme la « rogue ». La rague est composée d'œufs de morue, friandise coûteuse qui vient de Norvège en petits barils et que la sardine aime à l'exclusion de tout autre. Cet appât qui se vend un prix fort élevé n'a pas encore de remplaçants meilleur marché ; on a bien essayé diverses compositions comme par exemple de la farine d'arachides, mais le poisson ne veut que de la rogue et ne « lève » pas quand on lui donne tout autre matière. Ce sont précisément les spéculations sur la rogue — spéculations dont le résultat fut de faire monter à 130, 140,150 francs en Bretagne le baril de rogue qui à Bergen en Norvège vaut de 40 à 50 francs — qui ont été plus spécialement causes de la crise terrible traversée en 1902-1903 par la pêche sardinière et de la famine qui s'en est suivie en Bretagne. Un baril de rogue ne fait en effet que deux à trois jours de pêche et à un prix pareil les pêcheurs ne peuvent en acheter suffisamment pour rendre leur pêche productive.
Voici, pour animer par un joli tableau littéraire cette scène de la pêche, un passage que nous empruntons à un ouvrage bien connu du romancier Gustave Toudouze, un des meilleurs romans qu'il ait écrit sur la Bretagne « Péri en Mer ! ».La scène se passe précisément au large des Tas de Pois, à l'entrée de l'anse de Dinan.
« A l'avant deux hommes debout pèsent sur les avirons énormes, nageant vigoureusement contre le courant, et s'efforcent de maintenir la barque immobile à la même place pour que le filet, tendu comme un rideau à la traîne, reste immergé toujours droit ; les mâts sont couchés, les voiles repliées et roulées, toute l'embarcation rasée comme un ponton. A l'arrière, du geste superbe et régulier du semeur distribuant le grain fécondant, Hervé Guivarc'h, de la main droite puisant à pleines poignées dans un barillet placé à sa portée, jette à droite et à gauche la rogue, comme une semence précieuse lancée au sillon de la mer, où elle doit germer aussitôt et donner une moisson instantanée... Hervé a terminé sa besogne de patron, Lagadec et Tréboul manient toujours les grands avirons ; puis, au bout de quelques instants, des centaines de bulles d'air crèvent à la surface, un immense éclair d'argent luit entre deux eaux et le filet coule à pic : le poisson est pris. Doucement il est retiré, et tandis qu'un autre est immédiatement placé à l'arrière pour le remplacer, on secoue le premier, brasse par brasse, sans toucher la sardine prise par les ouïes dans les mailles ; ils savent bien que le moindre contact de la main suffit pour l'abîmer. Peu à peu tout le fond de la cale s'emplit... Le jour baisse ; les filets sont tous ramassés, l'embarcation est pleine. On remet les mâts en place, on hisse les voiles, et la « Marie-Anne », s'inclinant sous la brise qui augmente, se dirige vers le Toulinguet dont le profil se dessine au nord. » (Gustave Toudouze.)
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CPA Villard (n°1558), vers 1910, via Delcampe.net |
L'arrivée des bateaux sardiniers.
Une fois la pêche — calme ou troublée par les marsouins — terminée, les bateaux en toute hâte rallient le port le plus proche : car la sardine est un poisson qui ne se conserve pas longtemps frais et il faut, aussitôt péché, aller le porter aux usines où il doit être traité. Aussi voit-on atterrir à la jetée, au môle ou au quai, les bateaux revenus du large, et, guettés par les représentants des diverses usines du port, les pêcheurs débarquent, portant leur butin méthodiquement et proprement rangé dans des petits paniers contenant chacun deux cents poissons, tandis qu'en tête de mât se balancent déjà les filets mis au sec et que, de toutes parts, arrivent de la houle mer de nouvelles barques.
Sardinerie [Sauzon, Belle-Isle]
Souvent pour que le chemin soit moins long à parcourir, l'usine à sardines, la « friture » pour lui donner son vrai nom, est installée au bord même de la mer. Tel est le cas pour cette usine que nous avons en ce moment sous les yeux et qui est un de ces établissements que l'on trouve si nombreux tout le long du littoral de la Bretagne. Nous sommes ici à Sauzon, un des petits cantons de Belle-Isle et nous voyons, au pied de l'usine si pittoresquement installée au fond de cette crique rocheuse, les barques apporter leur poisson. C'est maintenant la partie industrielle qui commence : quittons, afin de suivre ce travail, les barques sur lesquelles nous avions pris passage, et pénétrons, à la suite du poisson que nous venons de voir pécher, dans l'usine où on va lui faire subir un traitement assez compliqué.
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CPA Neurdein (ND 211), années 1910, via Delcampe.net |
Etêtage des sardines.
Tout d'abord, dès que nous franchissons le seuil, c'est une fade odeur ; d'huile chaude qui nous prend à la gorge. En ligne, debout de chaque côté d'une grande table creuse, deux longues files de femmes, chacune armée d'un couteau de bois, travaillent en chantant à tue-tête. Sur cette table les pêcheurs qui entrent jettent à la volée le contenu de leur panier, et d'un seul coup de leur petit tranchet de bois ces femmes appelées « friturières » (en breton « fritouzen ») arrachent à chaque sardine la tête et les entrailles. Têtes et entrailles jetées dans de larges baquets seront revendues aux pêcheurs et sous le nom de « strong » constitueront un appât excellent pour le maquereau et d'autres poissons. Ce travail des femmes est pénible, et, quand la pêche donne, le poisson ne pouvant attendre sans se perdre, se prolonge souvent fort avant dans la nuit, tandis que les chansons au refrain repris en chœur empêchent les travailleuses de s'endormir de fatigue tout debout.
Cuisson des sardines.
Une fois ainsi vidée et bien nettoyée, la sardine est cuite. « De grands feux sont allumés, dit Sauvage ; dans d'immenses chaudières chauffe de l'huile d'olives de qualité supérieure venant du midi le la France ou du sud de l'Italie. Lorsque l'huile vient à entrer en ébullition, les sardines, placées par couches dans des paniers en fil de fer, sont plongées dans les chaudières, où elles restent le temps nécessaire ; elles sont alors déposées sur des tablettes où elles s'égouttent. »
Séchage des sardines.
Aussitôt que les sardines sont bien égouttées, les paniers en fil de fer sont transportés dans la sécherie : là, placés en plein air sur des tables, sur de larges claies d'osier, ils sont exposés au vent, et en très peu de temps les poissons sont séchés ainsi. Il reste une dernière opération à faire avant de les mettre en boîte, le triage suivant la qualité et la taille. C'est cette taille qui détermine le nombre des poissons à mettre dans une boîte : or ce nombre peut être très variable ainsi que le prouvent les chiffres que voici : il est des sardines de petite taille dont il faut 80 ou 85 individus pour faire un kilogramme et d'autres de grosse taille dont une dizaine pèsent un kilogramme, avec toute la gamme intermédiaire des sardines dont, respectivement, une vingtaine, une trentaine, une quarantaine font le kilogramme.
CPA Lévy (n°65), vers 1910, via Delcampe.net |
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CPA Neurdein (ND 214), vers 1910, via Delcampe.net |
Emboîtage des sardines.
Ces proportions arrêtées, les sardines sont enfermées en boîtes et ces boîtes sont remplies d'huile de première qualité à laquelle pour relever un peu le goût on ajoute parfois des épices. Ici s'arrête le rôle des femmes qui ont jusqu'alors suffi à toutes ces opérations. Celui des hommes commence.
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CPA Neurdein (ND 215/190), vers 1910, via Delcampe.net |
Soudage des boîtes.
Les boîtes sont portées à l'atelier des soudeurs, où des hommes, chargés de ce soin, soudent le couvercle. Comme la moindre fissure donnant passage à l'air ferait gâter le poisson on vérifie chaque boite en la plongeant dans l'eau bouillante ce qui fait gondoler toutes celles dont la fermeture n'est pas étanche. Une fois toutes ces opérations terminées, on colle les étiquettes, on met en caisse et l'on n’a plus qu'à expédier à travers le monde. Comme ces boîtes de fer-blanc et ces caisses sont fabriquées à l'usine même, généralement par des enfants que l'on a initiés de bonne heure à ce travail de découpage que facilite l'emploi de machines, on voit donc que la pêche à la sardine et sa préparation font vivre un pays tout entier : pêcheurs, friturières, soudeurs, fabricants de boîtes, c'est-à-dire hommes, femmes et enfants. Toute la Bretagne côtière de Brest à Nantes, cent mille personnes en chiffres ronds, vivent de la sardine. Et comme cette pêche et cette industrie sont extrêmement exclusives, exigent un outillage spécial qu'on ne peut du jour au lendemain transformer en cas de besoin pour un autre poisson, et ne permettent guère d'autre travail, on comprend très bien comment, en cas de crise, une population entière peut se trouver, comme nous l'avons vu en 1903, acculée à la famine. Quelques chiffres montreront l'importance de cette industrie pour nous primordiale : prenant comme points extrêmes Plendiben et Noirmoutier, voici ce que la pêche de la sardine a rapporté à la Bretagne durant le seul mois d'Octobre 1898.
La pêche à la sardine [crise de 1903]
C'étaient là véritablement de bonnes années et pour qu'en 1903 ait pu se produire la crise effroyable que vous savez et dont la France est encore tout émue, il faut véritablement que les spéculations sur la rogue et l'invasion de marsouins voraces aient causé un tort inouï. Ces deux causes de misère ont failli tuer net une industrie qui est au premier chef une industrie nationale. En effet, dès 1558, un auteur, Rondelet, nous apprend que l'on conserve la sardine en France de la même manière que les anchois. Duhamel du Monceau, écrivant, au XVIIIe siècle, nous apprend qu'avant 1792 nos ancêtres saumuraient la sardine comme le hareng, mais que vers cette époque on renonçait à ce procédé pour employer une méthode, selon lui, préférable, appelée « maelstram » car elle venait de la ville de Maelstram en Norvège et qui parait être l'ancêtre immédiat de celle par laquelle, au cours du XIXe siècle, on préparait la sardine dite « pressée », industrie qui depuis quelques années a beaucoup perdu, reculant devant la préparation à l'huile. L'invention de la fabrication de la sardine à l'huile date de 1825. Dans « La Grande Pêche », Sauvage raconte en ces termes cette histoire : « Cette idée est attribuée à un honorable magistrat, juge alors au tribunal civil de Lorient qui, portant intérêt à une vieille demoiselle de sa connaissance, nommée mademoiselle Le Guillou, l'engagea à essayer de cuire et de conserver à l'huile quelques centaines de sardines, pour les envoyer à des épiciers de Paris ; l'essai réussit et la fabrication augmenta avec les demandes. Ce magistrat lui fournit par la suite les moyens de fabriquer en grand et comme l'affaire, en prenant de l'extension, rapportait de beaux bénéfices, il donna sa démission de juge, monta un établissement important à Lorient et devint le premier fabricant de Sardines à l’Huile » Nous avions donc bien raison de dire en commençant que la pêche et la préparation de la sardine sont pour nous au premier chef une pêche et une industrie nationales. Quoique ayant pour théâtre essentiel, prépondérant, la Bretagne et ses côtes, cette pêche n'est pas seulement une pêche bretonne.
Bibliographie "confinée"
Aubert Charles-François, Le Littoral de la France - VI - Du Mont Saint-Michel à Lorient. Paris, Victir Palmé éditeur, 1885, pp.556-588
LE BOULANGER, Jean-Michel. Douarnenez de 1800 à nos jours : Essai de géographie historique sur l’identité d’une ville. Nouvelle édition [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2000
NIÈRES, Claude. Chapitre X. Les ressources de la mer In : Les villes de Bretagne au XVIIIe siècle [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2004 (généré le 04 mai 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pur/11025>. ISBN : 9782753525634. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.11025
JOANNE, Adolphe, Itinéraire Général de la France, 1873
Anonyme [Un Argonaute], Le Conférencier, journal mensuel de projection, n° 9 - Octobre 1903] : La Pêche à la Sardine par un Argonaute.- Paris : E. Mazo, 1903.- 16 p. ; 23 cm. ouvrage de diapositives dont le texte est disponible sur bmlisieux.com/curiosa/sardines.htm
Webographie
2) Le site http://jpcperso.blogspot.com/2010/07/ s'intéresse au sujet, à une famille dont le grand-père était pêcheur en 1917.
2) Le site https://turbigo-gourmandises.fr/secrets-de-fabrication-des-boites-de-sardines-connetable/ décrit une visite d'usine aujourd'hui avec un bref historique, notamment sur les "crises" lors d'absence de sardines.
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