lundi 4 mai 2020

Famille // Petites histoires de migrants bretons

Phasage d'écriture : introduction - version brute                                                             04/05/20/09:00
Un portrait probable de Thimothée père, avec son fils aîné, vers 1890, à Audierne (Finistère)
fonds des éditions Palantines, La Bretagne des photographes, éd. PUR, p.205


La "généalogie" est un domaine qui ne m'a jamais passionné. Comme beaucoup de gens initiés à la "Grande Histoire", j'ai longtemps éprouvé de l'indifférence pour ce hobby. Orgueilleux autant qu'ignorant, comme beaucoup d'étudiants, je regardais l'avenir qui s'ouvrait devant moi en cultivant une forme de mépris pour les personnes âgées à la recherche d'un ancêtre plus glorieux qu'eux-mêmes. Je les croisais alors dans les bibliothèques et les salles d'archives. Leur quête auto-centrée n'était (à mes yeux alors excessivement rationalistes) qu'une affaire de yo-yo dans les probabilités, consistant à "remonter" puis "redescendre", jusqu'à ricocher sur un parent célèbre ou hors-norme...

Il me faut réviser ce point de vue, visiblement partagé par les historiens qui n'évoquent jamais les travaux menés les généalogistes amateurs. La plupart des sites de généalogistes montrent pourtant une réelle ouverture d'esprit. Personne ne semble oublier la cascade faisant de chacun d'entre-nous l'énième descendant d'un être humain. Certes, la quête des origines reste un atavisme, mais il conduit le plus souvent à découvrir un paysage social, avec hommes, femmes, enfants, et non pas seulement une célébrité, même s'il y a toujours un personnage plus séduisant que les autres : ici, Thimothée Ampart, père et fils. Souvent, celui-ci n'est ni noble, ni grand bourgeois, mais il se rattache à une "lignée". Là, un pêcheur, mais il aurait pu être sabotier, tonnelier, cultivateur, docker, navigateur, chemineau, négociant, mineur, vigneron, ouvrier dans telle usine ; dans certains cas, plus rares, sous d'autres conditions, il serait instituteur, pharmacien, ingénieur... Car Thimothée exerce l'un de ces innombrables métiers qui se transmettent en famille sur trois, quatre, parfois cinq générations, entre le milieu du XIXe. et le milieu du XXe siècles, durant cette large période de transition où la stabilité d'une culture du travail au sein de la famille, venue du temps de l'artisanat, survivait dans le mouvement perpétuel qu'impose la société industrielle.

Cette petite histoire se raconte généralement dans un cercle familial fermé, jusqu'à l'invention des "Arts et Traditions populaires", les ATP, que l'on peut interpréter comme l'ultime tentative menée pour figer les derniers instant de la société plus lente qui précédait la nôtre... Le regard s'est tout d'abord porté sur les paroles, les mémoires, les outils. Il se limitait pour l'historien de l'école des Annales et le muséologue des ATP à la transmission d'un savoir-être et d'un savoir-faire, jusqu'aux gestes des ouvriers au sein d'une grande industrie que les écomusées enregistrèrent avant leur disparition.

Quant aux "histoires de famille", elles restent par définition à l'intérieur du cercle familiale. Leur mise en récit est encore aux mains des touristes de l'histoire que sont les généalogistes et les "anciens", ceux qui se plaisent encore à raconter le passé de leurs proches (et qui n'intéresse que leurs proches). Toutefois, depuis l'apparition de "sites sociaux", chacun peut désormais investir beaucoup plus librement les espaces de parole et de mise en récit. Les démarches individuelles se multiplient, bien que les gens sérieux - chercheurs, archivistes, auteurs ou éditeurs - continuent de maintenir une distance prudente avec ces amateurs enthousiastes qui pénètrent dans "leurs" salles et publient à compte d'auteur.

Il ne faut pas voir autrement la numérisation particulièrement active des registres : il s'agit de soulager les espaces de recherche en éliminant ces "gêneurs". Mais il y a un effet de retour : Internet supprime cette barrière sociale que constituait la salle de consultation et le coin de table sous contrôle de personnels formés interdisant la présence de stylos, obligeant parfois le port de gants, vous restreignant à ne consulter que trois cartons. On peut désormais entrer anonymement sur les sites des archives, oublier le poids de préjugés réciproques, et farfouiller partout, sans retenue, en toute impunité. Quel bonheur d'être à l'abri du regard des autres.

Aujourd'hui entre deux âges, entre deux situations, je me mets à mieux comprendre ces porteurs de lunettes de dépannage et autres adeptes de larges loupes. Le "confinement" nous a peut-être tous vieilli prématurément, et j'entre aujourd'hui en intelligence avec les fanatiques des registres : la généalogie est pour eux, comme pour moi, une petite porte ouvrant sur une grande pièce, bien que je ne crois pas à la "Grande Histoire" ! Je suis, profondément, politiquement, intimement, structuraliste et, dans mon imaginaire, il n'y a peu de place pour la génétique, le déterminisme ou la hiérarchie. Il n'y a que l'ignorance qui mène à la simplification (ou cette ignorance volontaire nommée pédagogie, qui transforme pour rendre abordable). Mes "historiens" parlent plutôt de micro-histoire, d'histoire sociale, culturelle, ou de genres, certains franchissent les ponts reliant la mémoire à l'histoire. Finalement, cette histoire finit par toucher la généalogie, mais sans gène, et sans moi, car cette histoire n'est absolument pas celle de "ma famille" génétique.

Ampart // 1840-1850 - L'enfant trouvé, de Quimper à Ploaré

Phasage d'écriture : Brouillon                                                                                           04/05/20/08:00

Illustration en couverture de Pierrick Chuto, Les enfants trouvés de l'hospice de Quimper, éd. 2019 ;
extrait de Charles Marchal (1825-1877) Le dernier baiser d'une mère, 1858 - Pêcheries, musée de Fécamp


En tant que nom commun, "ampart" signifie adroit en breton. Il n'est par ailleurs jamais utilisé comme nom propre durant les deux derniers siècles, à l'exception d'une seule famille originaire du Finistère... C'est pourquoi la découverte d'un article sur le site de la BNF Retronews faisant état d'un "sieur Ampart" à Audierne répond précisément à la mémoire de cette famille, à laquelle se rattache la connaissance orale de lointains cousins résidant dans ce village... Aucun doute n'est permis quant à une filiation entre le "sieur Ampart" figurant dans la presse au XIXe siècle et l'homme ayant son portrait sur le mur d'une petite villa à la Baule.

Cette rareté du nom est l'un des éléments qui va permettre d'écrire cette histoire de migrants breton, car il n'aurait pas été aisé autrement de retracer la vie d'une personne qui se déplace, ni de suivre ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. La méthodologie est exactement à l'inverse de la généalogie et il s'avère beaucoup plus difficile de "descendre" un arbre généalogique que de le "remonter". L'administration a favorisé cette direction dans une époque obsédée par les orgines : il faut connaître les parents, mais peu importe l'avenir des enfants. Pour retrouver les "ancêtres", il suffit simplement de partir des "actes de naissance" qui précisent l'origine des deux parents, donnant ainsi la possibilité de retrouver les registres où seront inscrits les grands-parents, puis retrouver les arrières-grands-parents, et ainsi de suite. Pour retrouver un enfant, surtout s'il s'agit d'une fille dont le nom va changer, il n'y a que le hasard et les progrès des sites de généalogistes qui peuvent le permettre.

Mais une première question se pose quant aux dates des articles : les années 1880-1890... Trop loin dans le passé... Pourtant, les textes les plus complets mentionnent le bon prénom, Timothée, précisément celui de l'arrière-grand-père. Cependant, son année et son lieu de naissance ne correspondent pas : Quimper, 1843... Il ne peut s'agir d'un hasard, celui qu'une rumeur disait orphelin aurait-il un père connu ? Pourrait-il avoir vécu aussi longtemps ? Ou alors, est-ce un homonyme ?  Les question s’enchaînent. La première réponse tombe rapidement en regardant plus préciséement les articles de presse sur Retronews, dans une période plus récente : il y existe bien deux Thimothée Ampart. Le premier meurt dans la région de Douarnenez, le second apparaît une génération plus tard en Algérie. La mémoire des anciens de la famille voyait dans l'arrière-grand-père un orphelin, mais il s'agissait plus probablement d'un arrière-arrière-grand-père... Un léger glissement. Les mémoires s’effacent après trois générations.


Ampart // 1851-1866 - une jeunesse à Ploaré

Phasage d'écriture : Brouillon                                                                                           04/05/20/07:00

Ploaré 1865 par Félix Benoist dans La Bretagne contemporaine (via ebay)

Le portrait qu'offre Alain Corbin et les nombreux historiens ayant travaillé sur le littoral avant 1840, est plus poétique que toutes les descriptions qui pourront surgir en décrivant des périodes plus tardives. La décennie 1850 ouvre pleinement l'ère industrielle et amorce une époque d'objectivité et de progrès, de rationalité et de normes, voire de normalité. Les monuments qui attiraient les premiers voyageurs sont désormais des objets d'études surveillés par l'administration, captés par la Mission héliographique. Des photographies, que l'on pourrait voir comme tristement réalistes, surgissent à la place d'improbables gravures "pittoresques". Thimothée est né un peu trop tard pour que son portrait ait comme socle un discours merveilleux où se mêleraient culture antique et croyance médiévale, fusionnant dans un même tout. La rationalité qui submerge la seconde moitié de ce siècle commet un double meurtre, brûlant à petit feu la culture et la croyance. Il serait donc trop tard pour qu'un coin de ciel se mette à flamboyer à la manière d'un Turner ? Trop tard pour que la mer s'étende à l'infini, comme dans un tableau de Friedrich ? Trop tard, vraiment ?

Pas exactement, Thimothée est peut-être né exactement au bon moment. Certes, les premiers romantiques, les plus célèbres novateurs se placent une ou deux générations derrière lui, mais les esprits refusent encore d'emprunter une autre direction. Les artistes de 1850 ne sont pas post-romantique. Bien au contraire, et même s'ils apparaissent "secondaires", la plupart des créateurs entrent à leur tour dans cet élan et deviennent des "néo-romantiques". Si les photographes sont encore très rares et pour la plupart parisiens, des foules de petits Provinciaux succèdent aux célébrités et viennent dépeindre les monuments oubliés de leur région. L'époque n'est plus à l'inventivité, mais à la diffusion, à la propagation, à la contamination, autant qu'à la provincialisation. Elle est, en ce sens, déjà pleinement industrielle dans sa capacité à normaliser. On peut donc, dans chaque ville et village, trouver un "portrait romantique" de tout et de n'importe quoi. La mode est au pittoresque... Peu importe le lieu où naquit Thimothée, il en surgira toujours une gravure touchante. L'émotion n'est plus l'apanage d'une élite venue de la capitale.

Les années d'enfance et de jeunesse à Ploaré sont bien celles où la région rencontre le dessin et la peinture. Jean-Marie Villard (1828-1899), fils du menuisier de Ploaré, est lui-même saisi par cette vocation qu'il transmet à ses enfants et petits-enfants, tous peintres et photographes. La Bretagne attire alors des artistes venu du monde entier pour y saisir une forme d'authenticité. Le peintre inspiré du mouvement romantique interprète alors de trois manières différentes la dimension pittoresque d'un lieu : la lumière intérieure d'un Rembrandt (ou pénétrante d'un Vermeer) pour des intérieurs rustiques et mystérieux, la précision floue d'un Réalisme déjà proche de l’Impressionnisme pour des extérieurs sauvages et lumineux, et le retour aux perspectives classiques et hollandaises pour des scènes folkloriques prises sous une lumière douce et égale... Dix ou vingt ans avant l'école de Pont-Aven, ces trois approches ne sont pas sans évoquer les trois courants littéraires d'une typologie qui resiste au temps : le Réalisme, le Naturalisme, et l'aboutissement du Romantisme dans une ligne régionaliste...

Si ces trois courants se croisent en effet au milieu du XIXe siècle, créant un arrière plan tragique, que peut-on dire du bonheur de vivre qui pourrait animer cet enfant trouvé de Quimper ? Répond-il aux stéréotypes de son temps ? Probablement pas, car il reste volontairement aux côtés de sa famille nourricière plusieurs années après sa majorité, jusqu'à son mariage. Croise-t-il l'un de ces peintres ? Certainement, au moins le fils du menuisier... Sait-t-il lire, écrire ? Nous apprendrons plus tard que non. Sont-ils des gens croyants dans ce village ? Et Le jeune couple s'est-il mariés dans l'église de Ploaré ? C'est a espérer tant l'endroit semble encore séduisant, avec ses boiseries repeintes approximativement au moment de l'événement.

Ampart // 1870-1880 L'installation rue de Pouldavid

Phasage d'écriture :  ébauche pour plan                                                                            04/05/20/05:00
Douarnenez, 1857, par Charles Furne et Henri Tournier, fonds BNF, La Bretagne des photographes, p. 43

L'épisode de la vie de Thimothée à Douarnenez, rue de Pouldavid, attise les questions plus que les réponses, favorise la digression plus que la progression. C'est ici qu'il s'installe avec Catherine. Les deux vingtenaires interrogent ainsi l'accomplissement et la représentation d'un amour de jeunesse, ayant pour nouveau point de départ cette impulsion qu'offre la promesse d'une vie nouvelle. Lorsqu'un couple se forme, le choix du lieu où il va emménager réitère une question primordiale, pour ne pas dire animale. Dans le monde ouvert et connecté actuel, les obstacles sont rares, du moins étaient-ils rares avant que l'OMS n'invente le principe préventif de "confinement". En dehors de cette parenthèse sanitaire, et de quelques pays isolés où les libertés sont restreintes, tout "citoyen du monde" peut désormais décider d'aller loin, en fonction d'un travail, d'une rencontre, d'un langage, voire d'une préférence pour telle ville bien "réputée" ou tel pays plus "attractif"... La rupture des liens affectifs, familiaux ou amicaux, peut être amoindrie grâce aux technologies et aux facilités de déplacement. Cela reste toutefois une question de coût : tout migrant ne peut pas, ou ne veut pas, rester proche de son pays, de sa famille, de ses amis.

La question est évidement bien différente en Bretagne, au milieu du XIXe siècle, lorsque l'on est "programmé" pour devenir agriculteur ou pêcheur, que l'on a des moyens excessivement réduits, que le train ne passe pas dans le secteur, que l'on ne sait pas vraiment lire et écrire, que l'on parle breton et que l'on bredouille le français avec un fort accent... Quels choix s'offrent réellement à Thimothée et à sa compagne ? Peuvent-ils concrètement partir ? Quelles attaches peuvent se rompre ? 

On attendrait d'une région qui a produit tant de migrants une analyse exhaustive et synthétique : mais une fois de plus la littérature est aussi abondante qu'elle est excessivement ciblée. La question se concentre vite sur le départ vers Paris à l'extrême fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle : c'est la mémoire des "Bretons de Paris" appartenant aux générations couvrant les trois premiers quarts du siècle dernier qui domine, pour s'achever sur la publication du Cheval d'orgueil et la mise en image du roman par Claude Chabrol en 1980. Finalement, l'approche scientifique va glisser de la recherche historique au roman, puis à l'analyse ethnique autour d'une catégorie social qui se réinvente une identité (Annick Madec). Si le "roman régional" breton met en avant la "pauvreté" du pays d'origine, l'explication de ce pôle de migration réside aussi surement dans son extraordinaire taux de natalité. Il faudrait faire des calculs précis pour évaluer le poids de ces différents facteurs. Cela importe peu. Dans les faits, beaucoup de parents en Bretagne voient partir leurs enfants plus ou moins loin. 

Mais il faut bien le constater : Thimothée et Catherine s'éloignent très progressivement... Pour leur premier départ, ils parcourent quelques centaines de mètres ! Au second degré de l'analyse, il faut bien constater que les individus restés sur place intéressent moins, alors que la légende de la "diaspora bretonne" ne va cesser de s'étoffer par la suite... La réduction du "roman régional" à une réalité locale se situe ainsi dans un rapport de 1/1000, évaluation quantitative résultant d'une division entre la migration visible de 500 kilomètres et cette migration invisible mais concrète de 500 mètres. La part de vérité est-elle identique entre le fantasme et le factuel dans l'identité bretonne ? 

Si l'errance, pour ne pas dire la divagation d'une "romance" conduit tout simplement à repousser les limites temporelles du mouvement Romantique jusqu'aux années 1980, la réalité et la précision des faits concernant des données locales s'accroissement pourtant lorsque l'événement se rapproche de notre présent. Les tableaux figurant la prime enfance de Thimothée, plus favorables à une mise en scène éloignant la réalité, laissent alors place à un autre mode de représentation : c'est un moment où balbutie la photographie qui, petit à petit, va re-matérialiser le monde.

Famille // La pèche à la sardine à Douarnenez...

Phasage d'écriture : ébauche pour plan                                                                            04/05/20/04:00
CPA Neurdein (n°206), via le blog : https://kbcpenmarch.franceserv.com/une-journee-en-peche.html

Difficile d'explorer la vie de la famille Ampart, sans évoquer une seule fois l'activité qui marque la vie de tous ses "ancêtres":  la pêche à la sardine. Elle est dans le quotidien de Thimothée père. Elle lui a été imposée, au ses strict, par une décision stratégique visant à répondre à un besoin en main d'oeuvre dans ce domaine. Sa vie est déterminée "administrativement" : l'enfant qui est placé à Douarnenez, doit devenir pêcheur de sardines. Il obéira à ce destin...

Comme d''innombrables ouvrages ont été consacré à cette pêche, se placer sous la contrainte des documents disponibles en "confinement" s'avère salvateur. Si l'on réduit encore la recherche à des textes contemporains de Timothée, le domaine peut être exploré dans des délais raisonnables.

Le plus beau livre "couronné deux fois par l'Académie" est une somme publiée à la manière d'une encyclopédie, en 1885 : le Littoral de la France par "Ch.-F. Aubert". Le ton se devine grâce au titre de la collection : la "Bibliothèque patriotique de la France". On y refait Le tour de France par deux enfants, en suivant uniquement le rivage, en le scrutant dans les moindres détails. L'école de la Troisième République cultive ici, à la perfection, l'art pédagogique de la phrase courte, de la répétition discrète, de la formule qui frappe... Thimothée savait lire et écrire depuis peu, a-t-il eu la curiosité de savoir ce que l'on enseignait sur son village et son métier dans la langue française ? Car on parlait breton à cette époque.

Dans cet ouvrage, richement illustré, la vie à Douarnenez se résume entièrement à la sardine, à son importance historique, à la manière de la pêcher, à celle de la préparer. Douarnenez fait l'objet d'une amusante comparaison : "Un adage hollandais bien connu affirme que : la ville d'Amsterdam est bâtie sur des têtes de harengs. Appliquant à la ville de Douarnenez cette parole humoristique et vraie, on peut dire qu'elle est bâtie sur des têtes de sardines. Tout s'y rapporte: passé, présent, avenir. Tout a grandi par elle, et peu d'événements auraient le pouvoir de contrebalancer les mots suivants : "Quelle sera l'issue de la campagne, cette année ?" Préoccupation bien naturelle : Douarnenez devant sa fortune à la pêche et aux industries qui en ont été la conséquence immédiate. Située, dans une position extrêmement commode, sur la baie qui a pris son nom et à l'embouchure du petit cours d'eau appelé Pouldavy, elle ne tarde guère à devenir le grand centre de trafic des nombreux  villages et communes disséminés sur les côtes voisines." (Aubert, p556)

Les mots de conclusions introduisent un tout autre chapitre : "Ce dont il est impossible de se fatiguer, à Douarnenez, c'est la beauté du paysage. L'anse formée par la petite rivière de Pouldavy est ravissante de fraîcheur et d'ombrage. Le petit port de Tréboul, distant d'environ quinze cents mètres, reçoit, à l'aide des marées, les bateaux qui viennent y chercher le bois de chauffage et de construction.
Ploaré semble couronner, de son clocher, un immense amphithéâtre de montagnes couvertes par la ville et les villages dont elle est entourée. La baie ferme l'horizon..." (Aubert, VI, p.569)

Tous les paysages de l'enfance et de la jeunesse de Thimothée y figurent : l'anse de Douarnenez, l'aber de la rivière de Pouldavid, le clocher de Ploaré. Le chapitre suivant de l'ouvrage est consacré à la Pointe du Raz, à la rudesse de cet autre paysage, aux tempêtes et aux naufrages, puis à Audierne... Après avoir résumé sa vie, ce livre annonce déjà sa mort.

Ci-après, les détails de la pèche dans un récit de 1903 illustré de cartes postales des années 1910.

Ampart // 1881 - Le déménagement à Audierne

Phasage d'écriture :  ébauche pour plan                                                                            04/05/20/03:00

Déménagement à l'aide d'une charrette à bras au XIXème siècle, France, illustration du magazine 'Le Magasin pittoresque' d'Edouard Charton, publiée en 1853, p.108. (Photo by API/Gamma-Rapho via Getty Images) - fonds BNF https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32810629m/date.item


Les articles de presse relatant le naufrage de Timothée Ampart à Audierne ont permis de trouver son lieu de naissance - Quimper - et celui de son fils aîné, Douarnenez ; mais la famille n'y habite plus, peu après la naissance d'un second garçon, Thimothée fils, le 2 février 1880. Thimothée, sa femme et ses enfants réapparaissent par la suite dans le recensement d'Audierne, effectué à la fin de l'année 1881.
Citation Le Littoral de la France

Le couple laisse Douarnenez au début de la première "crise sardinière" (1880-1886) et s'installe à Audierne en 1881 avec leurs cinq enfants (Marie-Josée). . Ce proche village peut apparaître plus accueillant, avec beaucoup moins de concurrence : Thimothée devient alors patron de son propre bateau. On trouve à Audierne de vielles maisons bretonnes, robustes, construites au XVIe siècle (Itinéraire général de la France, Joanne, 1867).


 Deux mauvaises saisons de pêche les ont convaincu de partir à La Montagne, ancien site du moulin d'Audierne... Toutes les questions s'enchaînent une nouvelle fois : si l'on peut aisément comprendre sa motivation, pourquoi précisément ce lieu ? Que représente une migration vers ce village voisin ? Comment déménager à cette époque ? Quelle préparations en amont, quelle maison occuper ? 

Si l'expression "déménager au XIXe siècle" fait immédiatement apparaître le métier de tapissier-décorateur, l'appel à cet ancêtre du déménageur semble ridicule : le tapissier a pour seul type de client le bourgeois d'une grande ville... Dans le cas d'un simple marin, même si celui-ci dispose de finances suffisantes pour être propriétaire de son bateau, il faut se débrouiller. N'imaginons pas, non plus, qu'il va embarquer sa famille et ses biens à bord de la sardinière, pour partir au gré du vent... L'image est certes poétique, mais la réalité l'est beaucoup moins : le bateau n'est pas du tout adapté, et la situation de cette famille de marin évoque plutôt un départ rapide, un exode comme il y en a eu en France en 1870, au moment de l'arrivée des troupes prussiennes... Les illustrations représentant ce genre d'événement sont finalement assez peu différentes de celles de 1914 où figure encore la charrette à bras, devenue le symbole d'un départ précipité effectué dans une grande précarité (que l'on retrouvera, plus rarement encore, en 1939).

Difficile d'entrer dans les détails : avait-ils de nombreux biens ? Meubles, linge, ustensiles de cuisine, outils... Possédaient-ils des animaux, voir une bête de somme capable de les aider... Avaient-ils des amis, des voisins, des gens dans la même situation pour les aider ? Audierne est à une journée de marche - journée mémorable pour les parents et leurs quatre enfants. Seules les questions restent, il faut cependant voir ce déménagement comme un moment déterminant, mûrement réfléchi avant de se mettre en route. 


Histoire de famille // 1885-1894 Jours de tempête

Phasage d'écriture : ébauche pour plan                                                                            04/05/20/02:30
1881-fév-12, L'illustration, n°1981, bateau de pêcheurs breton coulant à pic, via ebay

Comme le précise l'ouvrage Le Littoral de la France, publié en 1888, le port d'Audierne n'est pas encore aménagé de manière moderne. Il se situe dans les contreforts du pays Bigoudin, où la côte est rocheuse, élevée, dangereuse : la pointe du Raz reste célèbre, mais la "barre" de la baie d'Audierne  n'est pas moins redoutée à cette époque. Il y a de nombreux naufrages  au XVIIIe et au début du XIXe siècle, d'inévitables rumeurs de "naufrageurs" circulent... La réalité est plus simple et plus tragique : la mer est terriblement dangereuse, et les drames se multiplient. Les titres de presse ouvrent d'autres interrogations. Ce Timothée Ampart meurt lors d'un naufrage, mais pourquoi ce naufrage fait-il actualité et laisse apparaître son nom ? Quel contexte socio-culturel entourait le drame ? Quelle est la fréquence des naufrages dans ce métier ? Si l'on connait l'histoire de ce "territoire du vide" entre 1750 et 1840 grâce à Alain Corbin, celui-ci s'est visiblement rempli après la naissance de Thimothée en 1843...

Les naufrages touchent la famille Ampart. C'est par le biais de ces tragiques événements que se dévoile la suite de cette histoire familiale, car ces tragédie sont alors activement relayées par la presse. La première mention de Timothée Ampart est d'ailleurs une condamnation du Tribunal de Quimper, dans l'Audience correctionnelle du 30 avril 1885. Il doit verser 15 francs "par corps" : ce qui confirme son statut de patron de pêche, a priori juridiquement responsable. Que désignent ces corps ? Existe-t-il une rlation avec l'épidémie de choléra ? S'agit--t-il d'un accident en mer ? Un nouveau naufrage à lieu en 1889, il est alors bien identifié comme "patron du bateau de pêche L'Ange gardien". Trois marins meurent et le bateau est perdu, mais le responsable est un steamer dont l'armateur accepte de verser 1600 francs, à l'amiable, pour les dommages. Un homme vaut donc cent fois moins qu'un navire, ou la peine est-elle pondérée en fonction des moyens du payeur ? AU bénéfice du doute, on retient la seconde hypothèse.

Le troisième accident en mer est le naufrage de la chaloupe sardinière Sainte-Anne à Audierne le 14 avril 1894. Il emporte tous les marins à bord, dont le patron lui-même, Thimothée Ampart, et le fils du patron, Emile-Marie Ampart (1877-1894), alors simple mousse, et probablement l’aîné de la famille (Famille C // (2) Les enfants d'Audierne). Entre 1894 (date du naufrage) et 1895 (date du procès) de très nombreux articles de presse relatent ce drame.

En 1894, un "télégramme" annonce le drame d'Audierne. Experts dans l'art de la paraphrase, les journalistes locaux vont relayer l'information officielle... Le désir de rivage se heurte encore à cette violence qui transparaît dans les journaux. Cependant, à l'exception de La Croix (le navire se nomme Sainte-Anne), les nationaux n'en parlent pas, ou plutôt n'en parlent plus. De quand date la "mode" des naufrages de pêcheurs et du sauvetage des pêcheurs ? Peu importe, on regarde ce que l'on ne regardait pas, et cette dépêche est justement celle qui annonce la "disparition en mer" de Thimothée Ampart.

La question : Où il est question de grande et de petite navigation, de grands et de petits naufrages, du réel et de l'imaginaire..


  • Source principale - média du moment : la presse populaire et la presse illustrée


Oeuvre servant d'illustration :
1881, "Naufrage et tempête en Vendée", Journal du peintre naïf Paul-Emile Pajot
vers 1900, "Ne pars pas", Delandre, terre cuite - souvenir de bains de mer


Ampart // 1895-1905 - Les enfants du naufragé

Phasage d'écriture : ébauche pour plan                                                                            04/05/20/02:00
vers 1905, Portrait probable de Thimothée fils, soudeur pour la Maison Chancerelle à Douarnenez
carte postale 

Aux historiens, l'histoire des "marins pêcheurs", aux ethno-historiens, la mémoire des "veuves de marins", mais qui s'approprie le récit des "enfants de naufragés" ? Pour l'instant, un vide. Rares sont les chercheurs qui fouillent la zone devenue aveugle des "enfants", invisibles depuis les années 1980 et désormais cachés sous le dualisme de l'histoire des genres. Le regard administratif fait d'eux une "charge" pour les ménages plus qu'un "avenir" pour les parents... Ce sont donc les descendants, les généalogistes, les érudits locaux, les amateurs et blogueurs qui fouillent désormais dans cette direction - souvent pour y rechercher un descendant glorieux. Mais est-il vraiment glorieux d'être un "enfant de naufragé" ? Possiblement, c'est en tous les cas le statut des jeunes Ampart à Audierne, suite à la disparition en mer de la chaloupe Sainte Anne en 1894, qui provoque la mort de Thimothée et de son fils aîné, Emile. Ils "laissent" une mère et ses cinq enfants, quatre "jeunes adultes" nés à Douarnenez et le petit dernier, Jean-Guillaume, dix ans, apparu un an après leur emménagement à Audierne...

Il s'agit donc d'inverser la logique première qui consiste à rechercher l'origine, le passé, l'antériorité, voire l'ancêtre, pour - au contraire - "redescendre" vers le présent, découvrir ceux qui vont suivre la première génération (celle de l'enfant trouvé), observer l'avenir de ses filles et fils, puis tenter de comprendre comment se structurent les générations qui vont se succéder par la suite. Qu'en est-il de la deuxième génération, des "enfants du naufragé" ? Il faut imaginer la situation, leur réputation dans le village, dix ans après leur arrivée sur la colline de La Montagne. Le lieu était alors presque désert, une lande entre le village et la mer. Un lieu-dit d'aventurier, l'échos lointain et minuscule de la Conquête de l'Ouest ; puis survient le drame, et la famille endeuillée

Le dicton breton : "femme de marin, femme de chagrin" apparaît en 1860, puis le dictionnaire Littré commence à l'essaime peu avant que la tragédie ne touche la famille Ampart. Récemment, Emmanuelle Charpentier et d'autres historiens se sont attachés à détricoter les images et les préjugés du peuple littoral breton, dans le prolongement du texte fondateur d'Alain Corbin sur le "Territoire du vide". Mais la lecture de ces dernières publications sont presque toutes inatteignables en confinement (sans participation financière)... Par un jeu de rhétorique, il est toujours possible de montrer que l'angoisse et le chagrin ne sont que des émotions, rien par conséquent ne peut prouver leur existence. Le roman, pour toucher ses lecteurs, amplifie l'émotion. Par contre, les archives, et autres paperasses administratives, viennent appuyer l'hypothèse de femmes pragmatiques et indépendantes : inutile de lire ces livres ou de chercher ces écrits officiels, ils se présentent comme les preuves d'un comportement prédictible... L'historien proche des archives tend par conséquent à rejeter les émotions. D'où la question : la "femme de marin" serait-elle plus pragmatique, plus indépendantes, car elles prennent en charge les affaires ? Peut-être, mais la femme du cultivateur était-elle différente ? Et celle de l'ouvrier, de l'employé ? du négociant ? Ou, tout simplement, la "vieille fille", la "rentière" ? Sans parler de la "fille-mère"... Et sans aborder - évidemment - la question des hommes !

Ampart // 1905-1922 - La migration vers Bou-Haroun

Phasage d'écriture :  ébauche pour plan                                                                            04/05/20/01:00
Carte postale vers 1925 site Delcampe - touristes devant les maisons des pêcheurs à Bou Haroun

chap. préc.  : Ampart // 1895-1905 Les enfants du naufragé
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chap. suiv.  : Ampart // 1923-1939 Le triomphe de Thimothée fils

Après les marins, les naufrages, un troisième sujet affecte particulièrement la représentation des Bretons dans nos imaginaires : l'émigration au début du XXe siècle. L'interprétation de l'événement n'échappe pas aux clichés depuis la parution de Bécassine... À l'arrivée des familles de la grande bourgeoisie protestante venant de l'est en 1870 (comme destinées à enrichir le pays), répondrait celle des familles catholiques pauvres de l'ouest (condamnées à les servir). Le témoignage concret du départ des membres de la famille Ampart vers l'Algérie donne un autre portrait de Breton durant cette période : celui d'un pionniers dans l'industrie, ici illustrés par le "transclasse" Timothée Ampart, fils d'un orphelin et simple ouvrier, devenu un industriel fortuné après son exil en Algérie.

Son débarquement sur les rives de la Méditerranée s'associe à la nouvelle grande "crise sardinière" (1902, qui va se prolonger jusqu'en 1913) : les enfants Ampart semblent désormais bien installés à Audierne, disposant d'un petit commerce en bord de route (vendu en 1928), fabriquant probablement leurs propres boîtes de sardines grâce à la formation de soudeur du grand frère, Timothée; il est certainement assisté par la main d'oeuvre fournie par son frère et ses sœurs. Une réussite remarquable en moins de dix ans, entre le drame du naufrage de 1894 et le premier repérage en Algérie vers 1903. Ont-ils bénéficié d'une aide financière, à une époque où le bateau était la principale richesse des familles de marins, assurance ou économies ?

La suite de l'histoire se lit dans la presse algérienne : articles lorsqu'il monte son entreprise à Bou Haroun (près de Castiglione, actuellement Bou Ismaïl). L'usine de conserverie (sardines et anchois) est officiellement fondée en 1909. Seul Timothée est parti, le reste de la famille Ampart s'installe plus tardivement, en 1913 (L'Echo d'Alger, 14 mai 1913) : arrivent Marie Guédès, femme de Timothée, et Louise-Augustine Marie Le Plomb, femme de Jean-Guillaume, devenue Mme Veuve Ampart suite au décès de son mari sur le front belge en novembre 1914.

Le succès de  "l'industriel T. Ampart" est incontestable. Dans la mémoire familiale, il est dit qu'il importe en Algérie la première voiture automobile. Mais il faut tout d'abord comprendre cette instalation, poser une chronologie entre les premiers voyages en "éclaireur", probablement dès 1905, et l'obtention d'une médaille d'or pour son produit, en 1922.

Ce dont témoignent les archives, rattachées désormais à des chroniques mondaines. La famille Ampart, en important la technique de la mise en boîte des sardines, fera de quelques petites cabanes installées en bas de falaise au milieu du XIXe siècle sur la côte algérienne, alors occupées par des pêcheurs venus d'Espagne et d'Italie, un important centre de pêche aux origine d'un véritable village, construit en dur, doté d'une mairie, d'une poste, etc.

Source - média principal : les cartes postales de Bou Hharoun. Age d'or de la carte postale...


Ampart // 1923-1939 - Le triomphe de Thimothée fils

Phasage d'écriture : ébauche pour plan                                                                           04/05/20/00:45
1923, L’Écho d’Alger, 11 septembre 1923, p5 - publicité pour l'Anchois de maille "La Triomphatrice" de T.Ampart


L'adjectif breton "ampart" se traduit de différente manières : adroit, capable, expert, habile, robuste... Ce nom est une chance. Il produit certainement une croyance en soi, et rassure quant à l'existence d'un dieu qui vous ferait ainsi une sorte de promesse quant à vos capacité. Ce nom breton convenait parfaitement au parcours de Thimothée père. 

Quant à Thimothée fils, il s'est apparemment imaginé que son nom avait plutôt pour racine le latin im-perare, l'Empire, la prise de possession, le triomphe... Est-ce pour cette raison qu'il va créer la marque "la Triomphatrice" ? Il ne faut pas en douter, tant ce nom convient à l'époque et à la situation, celle d'une colonisation "triomphante" qui avance sans se poser de question.


  • Le support-média choisi : les chroniques mondaines de l'Echos d'Alger

Dans la suite du texte, il est question des années de "promotion" et de "réussite", d'une "société régionale", des œuvres de bienfaisance, des élections locales, des amis de la famille, et des "accidents" de M. Ampart.


Ampart // 1940-1962 - Une famille dans la décolonisation

Phasage d'écriture :  ébauche pour plan                                                                            04/05/20/00:30

sardinerie Ampart à Bou Haroun - via http://hubertzakine.blogspot.com
 (écriture en cours)

Thimothée fils arrive en Afrique du nord sur une terre chaude, conquise depuis longtemps, où les enfants des colons français, des travailleurs issus d'autres pays européens et des "indigènes"  se rencontrent, se comprennent, et commencent à s'hybrider, bien qu'ils se rattachent à différentes traditions et religions. Mais le décès de Thimothée fils, en 1939, marque la fin de cette situation provisoirement stable, et le début de relations plus difficiles inscrites dans la Grande Histoire autour des deux "événements" qui touchent indirectement puis de plein fouet les "départements français d'Algérie" : l'Occupation de la métropole (1940-1945) puis la décolonisation (1955-1962).

Les supports-médias qui auraient le mieux permis de se figurer le quotidien de ces jeunes aurait dû être la radio puis la télévision qui couvrent les vingts dernières années de l'occupation de l'Algérie par la France. Mais, contrairement à la peinture, aux débuts de la photographie, aux cartes postales ou aux articles de la presse locale, qui pénètrent dans les moindres détails le XIXe siècle et le début du XXe siècle, les contenus diffusés par les ondes s'avèrent limités. L'iconologie peut y percevoir une révolution, mais ces nouveaux médias peinent à compenser la raréfaction de leurs prédécesseurs. L'échelle des représentations n'est plus la même. Ce sont des médias flous. D'autre part, bien que la photographie soit devenue pleinement démocratique, elle se pratique en famille et les "albums" restent encore prisonniers d'archives privées : il ne s'agit plus d'une médiation ouverte.

Par chance, la génération nommée "silencieuse" aux Etats-Unis et leurs enfants baby-boomers ont été les premiers a utiliser les réseaux numériques, offrant de nombreux souvenirs déposés dans différents sites mémoriels : quelques individus décrivent l'histoire des villages de colons en Algérie... D'autre part, quelques cartes postales tardives (dites "semi-modernes") ont été éditées. Trop rares pour se trouver en permanence sur des sites de vente en ligne, un certain nombre ont été numérisées, puis publiées en ligne, et permettent de découvrir les sites où ces gens ont vécu, même si ces images sont légendées sans autre certitude par des historiens amateurs. Il semble que cette petite histoire appartienne aux "vaincus" et qu'il manque un méta-récit, longtemps aux mains "vainqueurs" algériens, plus soucieux de leur histoire propre que de la vie des colons - suivant une attitude compréhensible.

La sardinerie de Bou-Haroun est alors une entreprise familiale, discrètement dirigée par Yves et Emile Ampart ; "discrètement", car le nom d'Ampart apparaît plus rarement dans la presse algéroise, occupée par des faits d'actualité plus dramatiques. Les naissances n'y sont plus annoncées, seuls les décès figurent encore dans la rubrique nécrologique. Deux nouvelles générations surgissent pourtant durant cette longue période et représentent les "arrières-grands-parents" (nés avant-guerre) des enfants d'aujourd'hui. Ces nouvelles générations vivent leur années de jeunesse dans cette "ancienne colonie", de jeunes chanceux qui évitent les guerres mondiales, la crise de 1929, et profiteront à l'âge adulte d'une période d'expansion économique sans équivalent, mais ils seront cependant marqués, souvent traumatisés, voire tués, au moment d'une décolonisation qu'ils ne comprendront pas.

Ampart // après 1962 - des Bretons pieds-noirs

Phasage d'écriture :  ébauche pour plan                                                                            04/05/20/00:15
Tableau d'Yvonne Cordier née Tramu (https://yvonnetramu.monsite-orange.fr/page1/index.html) - IVe génération

Tableau de Victor Tramu, Marine (sardiniers)


(écriture en cours 2020)

À la mort de Thimothée fils (2e génération), les noms des familles s'accumulent dans l'avis funèbre issu d'un télégramme publié par l'Echos d'Alger : "BOU-HAROUN. — Madame Veuve T. Ampart; M. et Mme Tramu, né Ampart ; M. Yves Ampart ; M. et Mme Chauvin, née Ampart, et leur enfant ; M. et Mme Laurin, née Ampart. et leurs enfants ; Messieurs Emile et Hervé Ampart ; les familles Guivarch, Franger, Bernard, Lebars, Pennamen, Stéphan, Kervren, d'Algérie et de France, ont la douleur de vous faire part du décès de leur regretté Monsieur Timothée AMPART Industriel survenu accidentellement le 9 décembre 1939. Les obsèques ont eu lieu à Bou-Haroun, dans le caveau de famille, dans la plus stricte intimité."

Le caveau familial implanté à Bou-Haroun montre la volonté de s'ancrer "définitivement" dans cette nouvelle région. La famille bretonne trouve là un nouveau point de chute. La division des territoires demeure cependant puisque l'on distingue ceux "d'Algérie et de France". Cette publication offre surtout une liste relativement exhaustive des patronymes directement rattachés à la génération précédente, celle de Thimothée père, ses frères, ses sœurs, ses enfants, avec leurs époux et épouses. Ces derniers représentent  la "troisième génération", désormais composée d'adultes, la plupart mariés, avec des enfants ou de jeunes adolescents. La difficulté s'amplifie avec une dizaine de patronymes venus du mariage des femmes.  fait s'assimiler cette recherche à de la généalogie descendante. Mais cela permet aussi d'observer les liens qui se tissent en aval : quels sont les familles.

Sachant que le taux de fécondité descend en dessous de 2 après le baby-boom, en supposant que la famille Ampart respecte cette moyenne, les dernières générations doivent compter  une cinquantaine d'enfants nés entre 1950 et 1975, correspondant approximativement  ou plus tard (génération V - fin XXe, dite "X" puis "Y"), et une centaine au début XXIe  (génération VI - après 1995, dite "Z" puis "alpha"). Ces derniers représentent donc chacun environ 1% de la mémoire familiale. Pour montrer un peu le ridicule de la part génétique, celle-ci peut être grossièrement évaluée : en comptant une division par deux à chaque couple formé, sans considérer les possibles relations extra-conjugales, il reste à chacun 3% du "patrimoine génétique" de l'ancêtre marin breton (soit 1/2 puissance 5) - si l'on ne tient pas compte des codes inscrits dans les mitochondries des mères, ni de la part ultra-majoritaire du génome commun à tous les humain, aujourd'hui évaluée à 99%...

Méthodologie / le support-media. Excessivement important en nombre, les "cent" de la VIe génération ne peuvent être évoqués systématiquement. Il faut en rester aux souvenirs de leurs parents et grands-parents. Par chance, les IVe et Ve générations ont connu les débuts du "Web 2.0" au milieu des années 2000 et se sont introduites dans les réseaux sociaux. D'innombrables personnes y donnent publiquement leurs affinités et parentés, parlant d'elles-mêmes, évoquant des souvenirs ponctuels et tout un environnement social ou géographique. Quelques photographies sortent des albums pour être numérisées et diffusées. Contrairement au XIXe siècle avec ses "autobiographies de gens ordinaires, rédigés par des inconnus, le plus souvent à l'intention de leurs descendants" dont l'écriture "demeure pétrie d'une visée d'héroïsation de soi" (Louis-François Pinagot, première note du prélude), le contexte de partage dans un "réseau social" place l'auteur dans un nouvel état d'esprit : il ne s'agit pas d'une démonstration aux yeux du monde, mais d'une recherche de proches éloignés par le hasard de circonstances passées (on laisse pour cela un moyen de contact : adresse mail, téléphone) ; il convient alors de favoriser les liens sociaux en partageant des souvenirs communs dans un relation relativement horizontale, plutôt mélancolique, surtout lorsque la prise de distance s'associe à l'exode imposé par la guerre d'Algérie.

Si la troisième génération passe l'essentiel de sa vie en Algérie et reste invisible du fait de l'absence de média suffisamment exhaustifs, leurs enfants (baby-boomers), petits-enfants et arrières-petits-enfants, transmettent parfois, avec plus ou moins de force, de fierté, de honte, l'idée d'une "appartenance" d'ordre communautaire. Celle-ci ne se rattache plus à la Bretagne, visiblement oubliée, mais à l'Algérie de leur jeunesse. La nouvelle identité est celle de Pieds-noirs. La revendication change en fonction des âges, des mariages, des choix d'implantation, des idéaux politiques, des mémoires et transmissions culturelles... Certains s'affirment "pieds-noirs", parfois Italiens, Espagnols, Corses, quelques-uns se réinventent encore Bretons. Mais il ne faudrait pas oublier ceux qui ne s'expriment pas : la majorité silencieuse. Contrairement à celle que l'on stigmatise en période électorale, elle semble moins inquiétante ; sans doute trouve-t-elle dans la vie présente assez de satisfaction pour ne pas chercher une identité passée... Il faudrait croiser les données, sortir de l'écran pour interroger les témoins et vérifier la pertinence de cette affirmation sans preuve.

dimanche 3 mai 2020

Ampart // 1970-2000 - La branche Corse

Phasage d'écriture :  ébauche pour plan                                                                            03/05/20/00:15

Société "Calipage - Ampart Carli" associée à Claude Ampart, à Sarrola-Carcopino, près d'Ajaccio


(écriture en cours)

La fin de ce récit se doit d'être la plus passionnante, répondant à cette interrogation légitime : que sont-ils devenus ? La réponse se pose comme l'inévitable conclusion d'un conte pour enfants qui aurait débuté par "Once upon a time" en s'achevant sur cette sentence merveilleuse "and they all lived happily ever after". Cette formule sonne comme l'association du destin et d'une récompense divine, Elle fige le temps dans un avenir éternel, celui qui mène jusqu'au présent, où se dévoilent des parcours comparables à ceux que nous voyons autour dans notre propre environnement : des lieux actuels, des bruits contemporains, des ambiances et des métiers reconnaissables. Cependant, loin de se figer, le temps s'accélère, seules les distances se réduisent.

Après les récits émouvants puisés dans les blogs d'historiens amateurs, décrivant la fuite des colons d'Algérie ou leurs retrouvailles après l'exode, il ne reste plus qu'à explorer les réseaux sociaux mettant les individus en relation dans l'instant présent : Linked (LK), Facebook (FB), Copainsdavant (CD), Google (GG), Pinterest (PT), Tweeter (TW)... Sur ces différents sites, la recherche du nom "Ampart" permet de visualiser l'activité la plus récente des membres de cette famille, donnant de nombreux indices sur différents modes de vie, et autant d'environnements géographiques ou sociaux.... On découvre ainsi sur Google une librairie-imprimerie à Ajaccio nommée "Ampart Carli" : la méthode consiste ensuite à noter le second nom puis à l'éliminer avec l'opérateur "-" ("NOT"), en saisissant "ampart -carli" surgit alors un nouveau nom ou prénom associé... La liste de ces binômes sert ensuite à former des branches en réunissant les information dans plusieurs réseaux, en pistant chaque nouveau prénom : une vingtaine apparaissent, et couvrent trois générations (IIIe, IVe, Ve).

En utilisant cette technique de renseignement, les données s'accumulent et viennent clore deux siècles de parcours individuels centrés sur différents membres de cette famille. Le croisement entre la mise en récit et les archives-sources, choisies pour caractériser chaque époque, arrive ainsi à son terme dans les données numériques les plus contemporaines: vidéos su youtube, photographies sur FB...  On découvre désormais le "vrai" visage d'un individu portant ce patronyme, présent et actif sur Internet, parfois son âge, ses diplômes, son métier, son adresse, son numéro de téléphone... Mais aucun contact n'est pris pour vérifier la justesse des déductions faites à partir de ces archives "mouvantes", car il s'agit de respecter la contrainte d'un "confinement total" et plus encore la posture d'un historien "du futur" étudiant un sujet distant, pour ne pas dire virtuel.

Contrairement à l'arbre généalogique qui relate la position "administrative" des individus dans la famille et dans la société, ces supports d'information dévoilent la part affective des relations : "amis" sur Facebook ou "copains d'avant". C'est ici que la différence avec la fierté existentielle des baby-boomers vieillissants se creuse : le recueil des dernières données nécessitent l'utilisation de méthodes proche de l'espionnage, relatant plutôt le "voyeurisme" de l'historien-observateur que l'exhibitionnisme de son sujet... Un sentiment contradictoire surgit donc à la fin de ce portrait familial : il y a une immiscion dans la vie privée, même si cette dernière est offerte sur les réseaux numériques. Toutefois, c'est la meilleure image d'eux-mêmes que les gens produisent, en fonction de leurs propres critères. Ce sont d'ailleurs ces critères qui donnent un peu de réalisme à leur portrait. Mais la sensation est encore plus désagréable lorsque les faits ne sont pas dévoilés par l'individu concerné, comme dans le cas d'une affaire judiciaire.