samedi 5 décembre 2015

Frontière et progrès

« Mais où va la France ? » : ce n'est pas un nonagénaire qui s'exprime ainsi, mais un tout jeune homme que j'ai surpris en sortant d'une supérette, une semaine après les derniers attentats. En entendant ça, on aurait dit à pépé d'arrêter de radoter, mais là, que puis-je répliquer ? J'en reste bouche bée. Avec les drapeaux et la devise nationale qui se remettent à flotter dans l'air, on finit par s'habituer à ces idées d'autrefois, celles qui resurgissent dans l'ambiance nauséabonde de nos grandes villes. L'une d'elle consiste à revendiquer le retour "à la normale" comme un impératif majeur : ne pas céder aux terrorisme, c'est continuer à vivre normalement ! Ça tombe bien, on ne voit pas trop ce que l'on pourrait changer, tellement nous sommes prisonniers de notre train-train quotidien.

Mêlant l'intérêt pratique à la revendication idéologique, tout en sentant les fêtes de fin d'année s'approcher dangereusement, quelques boutiquiers ont poussé cette normalité militante jusqu'à l'extrême en présentant shopping et Saturday night comme des actes de résistances. Peut-être ce jeune homme excédé était-il un résistant camouflé qui n'avait pas trouvé le bon produit en rayon ? Quel désastre, aujourd'hui, quand celui qui ose encore faire ses courses n'obtient pas satisfaction. Rentré à la maison, c'est tout le maquis qui se retrouve dénudé, sans béret ni fusil.

« Mais où va la France ? » Il faut le dire, les notions de progrès et de frontières sont bien loin derrière. Se poser cette question, c'est se replacer dans la condition d'une très vielle modernité. Car le progrès est mort en 1973, après les chocs pétroliers. La France est morte en 1992, après la ratification du Traité de Maastricht. Et ce ne sont que des dates pour mémoire car ces disparitions sont plus anciennes, ancrés dans les ruines des deux guerres mondiales. Qu'est-ce que La France, quoi qu'il en soit ? C'est un mythe de la Révolution réinventé au XIXème siècle, exactement comme le progrès. Des mythes nécessaire pour avancer dans le vide sans y penser. La question du jeune homme est celle d'un individu du XXIème siècle. Il a oublié le XXème et cherche les mythologies du siècle précédent.

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