La mort des religions ne provoque pas ce vide désopilant que l'on attribue trop souvent à Nietzsche mais elle est plus ancienne et fait naître un bambin bien plus joyeux : l'utopie. La fin des religions, marque aussi l'apparition du libre arbitre, la conscience d'être un homme libre dans sa condition naturelle. L'humain devient, à ses propre yeux, un être social possesseur de lui-même, et se doit de trouver une règle comme substitut aux lois divines. Cette découverte marque pleinement le principe de modernité par la liberté qu'elle induit; elle n'est pas celle d'un homme ou d'un temps, mais traverse les époque et se trouve revendiquée par une foule d'individus, de Bacon à Descartes, des Révolutionnaires aux Communards, des Communistes aux Nazis, jusqu'aux néoconservateur et aux écologistes. Cette modernité est ancienne et clivante.
L'utopie moderne est finalement déjà présente en Europe dans la période de traduction du XIIème siècle, mais il reste possible d'affirmer qu'elle préexiste dans la Grèce antique, qu'elle inspire Rome. Certains la sorte même de l'Occident pour la redécouvrir aux côtés du bouddhisme, ou d'autres religions plus lointaines que l'on regroupe sous les termes de chamanisme et d'animisme. Pensée, croyance, paradigme, cette pulsion utopique n'est pas non plus l'apanage des élites ; aujourd'hui, chaque électeur a conscience d'y adhérer en votant pour un monde meilleur. Parfois désopilé, il désire malgré tout participer à une construction merveilleuse, poussé par le désir de créer un modèle qui lui correspond, ou excédé par la haine de son impossible expression.
Mais ces modèles ne sont pas aisément accessibles à la description, ils collent à l'ère du temps et sont globaux, depuis que l'ère moderne a été ainsi nommée par les historiens occidentaux. Ni les individus, ni les puissantes élites politiques ne peuvent changer ces paradigmes. Cette modernité et cette volonté de rendre le monde meilleur est profondément ancré dans les individus, chez la plupart des enfants, à moins qu'il ne soient gagnés par le cynisme (en étant plongé dans une violence dont les parents sont censés les protéger).
Il faudrait cesser d'écrire l'histoire comme une épopée pour comprendre et complexifier ces paradigmes réformateurs. Les gentils et les méchants, les occupant et les libérés, les vainqueurs et les vaincus ne sont que des illusions qui voilent la réalité des flux d'imaginaires qui gagnent tous les esprit et toutes les batailles. L'analyse historique devrait s'attacher à remplacer les héros par des idéaux, afin de comprendre que les individus ne sont que les marqueurs d'idéologies qui parcourent des temps plus longs, qu'ils ne sont que le cristal qui se forme autour d'une impureté dans une solution aqueuse où tout est bien dilué. Le héros est, par définition, une exception. Il ne devrait pas intéresser les historiens sérieux.
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