![]() |
vers 1905, Portrait probable de Thimothée fils, soudeur pour la Maison Chancerelle à Douarnenez carte postale |
Aux historiens, l'histoire des "marins pêcheurs", aux ethno-historiens, la mémoire des "veuves de marins", mais qui s'approprie le récit des "enfants de naufragés" ? Pour l'instant, un vide. Rares sont les chercheurs qui fouillent la zone devenue aveugle des "enfants", invisibles depuis les années 1980 et désormais cachés sous le dualisme de l'histoire des genres. Le regard administratif fait d'eux une "charge" pour les ménages plus qu'un "avenir" pour les parents... Ce sont donc les descendants, les généalogistes, les érudits locaux, les amateurs et blogueurs qui fouillent désormais dans cette direction - souvent pour y rechercher un descendant glorieux. Mais est-il vraiment glorieux d'être un "enfant de naufragé" ? Possiblement, c'est en tous les cas le statut des jeunes Ampart à Audierne, suite à la disparition en mer de la chaloupe Sainte Anne en 1894, qui provoque la mort de Thimothée et de son fils aîné, Emile. Ils "laissent" une mère et ses cinq enfants, quatre "jeunes adultes" nés à Douarnenez et le petit dernier, Jean-Guillaume, dix ans, apparu un an après leur emménagement à Audierne...
Il s'agit donc d'inverser la logique première qui consiste à rechercher l'origine, le passé, l'antériorité, voire l'ancêtre, pour - au contraire - "redescendre" vers le présent, découvrir ceux qui vont suivre la première génération (celle de l'enfant trouvé), observer l'avenir de ses filles et fils, puis tenter de comprendre comment se structurent les générations qui vont se succéder par la suite. Qu'en est-il de la deuxième génération, des "enfants du naufragé" ? Il faut imaginer la situation, leur réputation dans le village, dix ans après leur arrivée sur la colline de La Montagne. Le lieu était alors presque désert, une lande entre le village et la mer. Un lieu-dit d'aventurier, l'échos lointain et minuscule de la Conquête de l'Ouest ; puis survient le drame, et la famille endeuillée
Le dicton breton : "femme de marin, femme de chagrin" apparaît en 1860, puis le dictionnaire Littré commence à l'essaime peu avant que la tragédie ne touche la famille Ampart. Récemment, Emmanuelle Charpentier et d'autres historiens se sont attachés à détricoter les images et les préjugés du peuple littoral breton, dans le prolongement du texte fondateur d'Alain Corbin sur le "Territoire du vide". Mais la lecture de ces dernières publications sont presque toutes inatteignables en confinement (sans participation financière)... Par un jeu de rhétorique, il est toujours possible de montrer que l'angoisse et le chagrin ne sont que des émotions, rien par conséquent ne peut prouver leur existence. Le roman, pour toucher ses lecteurs, amplifie l'émotion. Par contre, les archives, et autres paperasses administratives, viennent appuyer l'hypothèse de femmes pragmatiques et indépendantes : inutile de lire ces livres ou de chercher ces écrits officiels, ils se présentent comme les preuves d'un comportement prédictible... L'historien proche des archives tend par conséquent à rejeter les émotions. D'où la question : la "femme de marin" serait-elle plus pragmatique, plus indépendantes, car elles prennent en charge les affaires ? Peut-être, mais la femme du cultivateur était-elle différente ? Et celle de l'ouvrier, de l'employé ? du négociant ? Ou, tout simplement, la "vieille fille", la "rentière" ? Sans parler de la "fille-mère"... Et sans aborder - évidemment - la question des hommes !