 |
Ordo du sacre, 1250 |
Journées de conférences
Reims, samedi 26 novembre 2016
De Saint-Remi à la Reconstruction
liens entre les patrimoines rémois
I-. Les actions menées actuellement.
Appartenant à l'ensemble inscrit par l'Unesco en 1991, la basilique et l'ancienne abbaye Saint-Remi font l'objet d'une protection patrimoniale, régie depuis cette année par une AVAP intégrant les aspects paysagers, architecturaux et urbains, tout en se substituant au « Périmètre de 500m » réglementant les abords des sites protégés au titre des Monuments Historiques.
Cette nouvelle réglementation s'applique sur cinq secteurs différenciés dont deux s'accolent à l'ancienne abbaye : face au portail principal, à l'ouest, le quartier Saint-Remi des années 1970 ; à l'arrière, à l'est, l'ancien faubourg Saint-Nicaise, signalé dans l'AVAP comme « fort potentiel patrimonial » (dans des ouvrages visibles ou souterrains). Au sein de ces nouvelles mesures, l'enjeu paysager est déterminant. L'AVAP préconise le traitement qualitatif des espaces urbains et des architectures à grande valeur patrimoniale dont l'intégralité est à conserver impérativement : démolition proscrite, modification selon l'avis de l'ABF et seulement tolérée pour des restitutions...
Des travaux de restauration sont en cours. En 2015, un diagnostic complet a permis de dresser un état des lieux avec des préconisations pour la restauration des couvertures et de la façade occidentale. Les abords font l'objet d'une requalification dont la première phase débutera en 2017 pour s'achever en 2020. Porté par la Ville et la Communauté urbaine, ce projet concerne l'environnement bâti et paysager de la basilique, du musée, du parc et de l'environnement urbain. Cette modification paysagère inclut donc le traitement au sol avec végétalisation basse, la reprise des parcours piétonniers, le redressement de la rue St-Julien (au sud) et la réfection des différents réseaux. La basilique se trouvera ainsi dégagée, avec un emmarchement cohérent menant à un assez vaste parvis. D'autre part, des vestiges archéologiques seront valorisés et mis en lumière.
Ce travail marque le début d'une réflexion patrimoniale impliquant différents acteurs – de la culture, du tourisme, de l'aménagement – pour créer des outils de liaisons. Il s'agit, en outre, de rattacher St-Remi avec les autres biens inscrits au Patrimoine Mondial, en valorisant ce traitement urbain par une signalétique, des circuits, des événements et une mise en lumière couplée avec la cathédrale.
Il faut par ailleurs noter qu'en 2017 débutera une vaste étude XXX, menée conjointement avec l'Etat et la Région, afin de créer dans le centre intra-muros un « Plan de sauvegarde et de mise en valeur ». Ce travail d'inventaire doit permettre de mieux comprendre les patrimoines rémois et leur inscription dans la ville et dans les pratiques urbaines.
II-. Perception dans le patrimoine.
En préambule, il semble nécessaire de mener une brève enquête, d'ordre historiographique, sur Saint-Remi et son rôle relativement aux autres patrimoines rémois. En effet, histoire et usage des bâtiments sont étroitement liés à Reims, depuis le mythe du saint Chrême, conservé aux côtés des reliques de saint Remi dans la basilique, objet de pèlerinage et lieu-témoin privilégié de l'histoire de France. Indissociables de la cathédrale, des liens subtils apparaissent aussi avec les maisons de champagne et, plus indirectement, avec la reconstruction.
La gageure consiste à rendre visible le contexte historique et les liens immatériels qui unissent les différentes entités patrimoniales de Reims,
alors même que le "centre historique" n'est a priori "ressenti" qu'à l'intérieur du périmètre de la cité antique, excluant de facto le "bourg Saint-Remi", binôme indissociable de la ville archiépiscopale .
Outre l'observation immédiate de l'église Saint-Remi, qui lui donne une place relativement importante dans l'architecture romane et gothique, son empreinte patrimoniale demeure essentiellement historique. De fait, le « mythe » de saint Remi prend naissance dans cette église. Ce récit figure au premier plan de l'histoire française avec les célèbres épisodes du « baptême » de Clovis et du « vase de Soisson » racontés par Grégoire de Tour au VIème siècle. Des anecdotes qui se transforment en événement historique quand elles sont reformulée par l’évêque de Reims, Hincmar, au IXème siècle, et peu après par le chanoine Flodoard. C'est alors que le baptême devient sacre royal, qu'apparaît la sainte Ampoule et que débute la tradition d'une royauté de droit divin.
Le mythe, l'écrit se transforme en rituel avec l'Ordo du XIIIe siècle et perdure jusqu'en 1825 - lorsqu'il est réinventé par Charles X - sous la dictée de Mérimée, avec l'admiration de Victor Hugo et de Charles Nodier. Ceci malgré le scandale que représente la renaissance de cet évènement après plusieurs décennie de combat pour les Révolutionnaires. [2020/04/29]
cf. [Gallica] Landric Raillat [thésard d'Alain Corbin] Charles X le sacre de la dernière chance, 1991.
C'est cette histoire que redécouvre
François Guizot en traduisant et publiant Grégoire de Tour, Hincmar et Flodoard en 1835, dans sa
Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France. C'est aussi cette histoire que recherchent les premiers touristes romantiques au XIXème siècle, en visitant Reims, en admirant le tombeau reconstitué de Saint-Remi. Parmi eux, le
baron Taylor et Charles Nodier s'attardent longuement sur la basilique dans leurs
Voyages pittoresques et romantiques, y trouvant prétexte à de longues digressions sur l'histoire des rois. Avant cela, c'est probablement la mémoire de la tradition carolingienne qui conduit le préfet de la Marne à
inscrire Saint-Remi sur la première liste des Monuments Historiques, en 1840, alors que la cathédrale n'y figurera qu'en 1862. Saint-Remi attire aussi la Mission héliographique en 1851 et l'architecte Violet-le-Duc qui illustre son Dictionnaire de l'architecture avec une vingtaine de croquis publiés dans les articles Abside, Arc boutant, Chœur, Contrefort, Nef, Piliers, Travée, Triforium, Vitrail ou Voûte...
Toutefois, la richesse et la diversité des sculptures de la cathédrale finissent par l'emporter, comme en témoignent les fonds photographiques anciens de la BNF, où l'on retrouve des milliers de clichés sur la cathédrale et seulement quelques dizaines sur Saint-Remi. La cathédrale fait motif. Pour preuve, une boutique de photographe s'installe face au monument dès les années 1890.
III – Réception dans le tourisme.
Par delà l'intérêt présupposé d'un patrimoine, dans sa dimension matérielle ou immatérielle, il faut noter des variations dans sa réception. A Reims, il n'est pas inutile d'observer certaines hiérarchies établies au XIXe siècle, visibles dans les recommandations des guides touristiques. À l'attachement des romantiques et des monuments historiques pour l'Ancien Régime, les guides touristiques de la seconde moitié du XIXème siècle se font plutôt les héritiers de 1789 et de 1848. On découvre à Reims une rupture instituée par l'école républicaine qui va remplacer les mythes francs par une origine gauloise. Cette politisation imprègne le premier guide des chemins de fer publié en 1853, elle se retrouve dans les guides Bleus jusqu'au XXème siècle.
A Reims, à la fois capitale gallo-romaine et cité des sacres, le patrimoine porte des enjeux. Aujourd'hui oubliés, les événements historiques n'en restent pas moins structurants. Ainsi, le moment le plus marquant est probablement l'incendie de Notre-Dame de Reims en 1914 : celui-ci va redonner toute son importance à la cathédrale, dont la disgrâce est effacée par le danger d'une destruction allemande. Après ce drame, « l'ange au sourire » est remarqué. Dès la guerre, on lui donne le nom de « sourire de Reims », dont la béatitude sera parfois interprété comme un symbole de Paix. Une fois restauré, il reprend sa place sur le massif occidental en 1926, s'inscrit dans les cartes postales, et incarne à lui seul l'édifice. À partir de cette date, il sera signalé dans tous les guides touristiques.
L'étude de ces guides montre d'autres découverte, le patrimoine rémois se réinventant après-guerre. La statue de Jeanne d'Arc, qui a été décrite comme surgissant des flammes en 1914, devient incontournable. L'Hôtel Le Vergeur s'impose également en tant que Musée du Vieux Reims. La ville renaît aussi sous-terre car le rituel de la visite des caves s'instaure : la production du champagne concernait peu les touristes au début du siècle, se résumant à quelques lignes dans la rubrique des activités industrielles, entre les textiles et les biscuits. En 1931, les caves de Saint-Nicaise sont amplement décrites, citées comme des lieux exceptionnels qu'il ne faut pas manquer de visiter.
Toutefois, cette redécouverte s'avère plus matérialiste, ce que démontre la perte de puissance de Saint-Remi, symbole quasi-littéraire d'un héritage difficile à intégrer dans la vision nationale républicaine de l’Entre-deux-guerres. La basilique a ainsi été longtemps négligée dans sa dimension patrimoniale, tout comme son environnement urbain immédiat. Elle sera même brutalisée dans sa partie ouest, au profit de l'opération Fléchambault effectuée dans les années 1970, dont le style néo-régionaliste tardif, malgré sa qualité, évoque aux passants l'idée d'une « station de ski ».
IV reconstruction et valorisation.
Après 1918, une histoire s'écrit en creux – celle de la reconstruction. Alors que la destruction de la cathédrale crée un événement mondial, occupant encore de nombreux experts et historiens, la reconstruction de la ville devient vite une question de spécialistes. Pour retrouver ses traces, il est inutile d'ouvrir les guides touristiques, qui ne l'évoquent jamais dans les détails. La destruction de Reims s'y résume à la dramatisation de la ville martyr et aux bilans chiffrés issus d'une propagande anti-allemande vielle d'un siècle ! Pour comprendre la reconstruction aujourd'hui, il faut revenir aux archives et aux revues contemporaines spécialisées comme
L'architecte,
L'architecture ou
La construction moderne.
Passé dans l'invisible, aux côtés de l'héritage immatériel du sacre, la reconstruction est longtemps ignorée, les biens reconstitués se confondant souvent aux biens authentiques. Par exemple, Saint-Remi est la plupart du temps décrite comme si elle n'avait pas été atteinte, alors qu'elle l'est plus durement que la cathédrale et que sa charpente est reconstruite par les mêmes éléments de béton. Le patrimoine de la reconstruction à Reims serait un sujet parfait pour analyser la réception d'une architecture moderne : les efforts des reconstructeurs pour s'intégrer aux styles préexistants a probablement favorisé cet effacement, mais on retrouve également dans le regard porté sur leur travail des phases identifiables : propagande, résignation, déni, oubli, destruction et redécouverte. Pour en revenir aux guides touristiques, ces bâtiments sont cités sans commentaires, puis le guide Bleu de 1956 rompt le silence, décrivant la place d'Erlon ainsi : « la reconstruction des années 1920-1925, d'un style déplorable, a néanmoins reconstitués les porches ou loges des maisons. » En 1970, la critiques s'étend à l'Art nouveau, comme la fontaine Subé jugée « œuvre pompeuse »...
Au même moment, le mouvement moderne atteint un sommet, dans un purisme radical qui s'exprime aussi dans l'espace urbain, notamment aux alentours de Saint-Remi. Mais un paroxysme est atteint. Les décennies suivantes voient renaître un intérêt pour l'ornement, contre la rigidité d'un fonctionnalisme rude devenu académique. On redécouvre à Reims l'Art nouveau et l'Art déco, avec les travaux d'Olivier Rigaud qui aboutissent sur une exposition en 1988,
Reims, reconstruction 1920-1930, décrivant 70 ouvrages remarquables. Il faut toutefois signaler que Saint-Remi ou les ornements Art déco, qui provoquent l'enthousiasme des Rémois, ne sont pas encore inscrits dans les pratiques touristiques : actuellement, les rubriques et avis sur Tripadvisor en témoignent... Le relation matérialiste réinventée en 1918 autour de la cathédrale et des caves de champagne reste largement majoritaire. D'ordre plus immatériels, bien compris par les Rémois, des « liants » existent et permettent de faire de Reims un lieu d'expérimentation de la culture française, avec les sacres, le champagne et l'art déco, mais il faudra aussi au touriste intégrer une certaine complexité dans l'usage du lieu.
Bibliographie spécifique