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| Douarnenez, 1857, par Charles Furne et Henri Tournier, fonds BNF, La Bretagne des photographes, p. 43 |
L'épisode de la vie de Thimothée à Douarnenez, rue de Pouldavid, attise les questions plus que les réponses, favorise la digression plus que la progression. C'est ici qu'il s'installe avec Catherine. Les deux vingtenaires interrogent ainsi l'accomplissement et la représentation d'un amour de jeunesse, ayant pour nouveau point de départ cette impulsion qu'offre la promesse d'une vie nouvelle. Lorsqu'un couple se forme, le choix du lieu où il va emménager réitère une question primordiale, pour ne pas dire animale. Dans le monde ouvert et connecté actuel, les obstacles sont rares, du moins étaient-ils rares avant que l'OMS n'invente le principe préventif de "confinement". En dehors de cette parenthèse sanitaire, et de quelques pays isolés où les libertés sont restreintes, tout "citoyen du monde" peut désormais décider d'aller loin, en fonction d'un travail, d'une rencontre, d'un langage, voire d'une préférence pour telle ville bien "réputée" ou tel pays plus "attractif"... La rupture des liens affectifs, familiaux ou amicaux, peut être amoindrie grâce aux technologies et aux facilités de déplacement. Cela reste toutefois une question de coût : tout migrant ne peut pas, ou ne veut pas, rester proche de son pays, de sa famille, de ses amis.
La question est évidement bien différente en Bretagne, au milieu du XIXe siècle, lorsque l'on est "programmé" pour devenir agriculteur ou pêcheur, que l'on a des moyens excessivement réduits, que le train ne passe pas dans le secteur, que l'on ne sait pas vraiment lire et écrire, que l'on parle breton et que l'on bredouille le français avec un fort accent... Quels choix s'offrent réellement à Thimothée et à sa compagne ? Peuvent-ils concrètement partir ? Quelles attaches peuvent se rompre ?
On attendrait d'une région qui a produit tant de migrants une analyse exhaustive et synthétique : mais une fois de plus la littérature est aussi abondante qu'elle est excessivement ciblée. La question se concentre vite sur le départ vers Paris à l'extrême fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle : c'est la mémoire des "Bretons de Paris" appartenant aux générations couvrant les trois premiers quarts du siècle dernier qui domine, pour s'achever sur la publication du Cheval d'orgueil et la mise en image du roman par Claude Chabrol en 1980. Finalement, l'approche scientifique va glisser de la recherche historique au roman, puis à l'analyse ethnique autour d'une catégorie social qui se réinvente une identité (Annick Madec). Si le "roman régional" breton met en avant la "pauvreté" du pays d'origine, l'explication de ce pôle de migration réside aussi surement dans son extraordinaire taux de natalité. Il faudrait faire des calculs précis pour évaluer le poids de ces différents facteurs. Cela importe peu. Dans les faits, beaucoup de parents en Bretagne voient partir leurs enfants plus ou moins loin.
Mais il faut bien le constater : Thimothée et Catherine s'éloignent très progressivement... Pour leur premier départ, ils parcourent quelques centaines de mètres ! Au second degré de l'analyse, il faut bien constater que les individus restés sur place intéressent moins, alors que la légende de la "diaspora bretonne" ne va cesser de s'étoffer par la suite... La réduction du "roman régional" à une réalité locale se situe ainsi dans un rapport de 1/1000, évaluation quantitative résultant d'une division entre la migration visible de 500 kilomètres et cette migration invisible mais concrète de 500 mètres. La part de vérité est-elle identique entre le fantasme et le factuel dans l'identité bretonne ?
Si l'errance, pour ne pas dire la divagation d'une "romance" conduit tout simplement à repousser les limites temporelles du mouvement Romantique jusqu'aux années 1980, la réalité et la précision des faits concernant des données locales s'accroissement pourtant lorsque l'événement se rapproche de notre présent. Les tableaux figurant la prime enfance de Thimothée, plus favorables à une mise en scène éloignant la réalité, laissent alors place à un autre mode de représentation : c'est un moment où balbutie la photographie qui, petit à petit, va re-matérialiser le monde.






