2.1 La simplicité : être compréhensible par le plus grand nombre
L'augmentation de la complexité n'est pas un défaut dans certains domaines comme l'informatique ou la mécanique, car ces "boites noires" laissent ouvertement percevoir l'input et l'output, ceci dans une séparation nette entre l'objet et l'utilisateur (qui peut librement les activer ou désactiver). Le principe n'est plus tolérable lorsqu'il touche les individus dans leur corps et leur intimité : ce qui est le cas pour la nourriture, l'habitation, la médecine. Se nourrir de choses non-traçables, vivre dans un environnement incompréhensibles, travailler sur un projet inatteignable correspondent à des conditions métaphysiques mais elles ne doivent pas être réinventées par quelques hommes qui possèdent la maîtrise du système. L'architecture-langage est devenue une architecture-jargon, incompréhensible pour le commun des mortels. L'individu se trouve, volontairement ou non, aliéné à ces abstraction inventées par la société : la modernité n'est plus une autonomie mais une hétéronomie. Chaque homme devient totalement dépendant d'un système de consommation. Les mécaniques économiques ont ainsi recentré le monde sur la dépendance à l'argent et sur le progrès d'apparence.
Les règles morales et matérielles poussent à l'utilisation de matières et énergies placées à porté de main ou situées à faible distance (architecture de cueillette et bioclimatique). Les techniques qui en découlent (fabrication des matériaux et modes de construction) ne sont applicables qu'à l'endroit où le bâtiment se trouve. Il ne peut donc y avoir un modèle universel d'habitat : ni pavillon standardisé en béton, ni yourte mongole en tissu, ni chalet montagnard en bois, ni building américain en acier et verre, ni cabane de berger en pierre sèche. Chaque tradition architecturale est le fruit d'un temps, d'un lieu, d'un mode de vie, d'une culture ; les imposer ou les imiter peut s'interpréter comme colonisation ou appropriation culturelles. L'art vernaculaire est critique et ne se limite pas à un héritage ou une tradition : nos vies, techniques et exigences ne sont pas celles d'un passé endogène ou exogène.
2.3 L'architectonique et la visibilité (Perret) : distinguer structure et remplissage
S'il n'y a pas une solution architecturale unique, ou un matériau particulier à privilégier, les règles que l'on s'impose sur la matérialité et l'intelligibilité peuvent conduire à adopter des méthodes constructives récurrentes : séparer le support (structure), qui permet de définir un volume, de la surface (remplissage) qui sert à protéger l'intérieur du volume. Porter et protéger sont deux problèmes différents qui nécessitent des solutions techniques distinctes. La fusion des deux en une seule "coque" apparaît inévitablement comme une solution peu économe en matière (dôme) et dispendieuse en énergie. D'autre part, la robustesse de la structure qui obéit à la loi physique de la gravitation (et non au climat local) nécessite des matières adaptées. Ces matières distinctes doivent être visible car, sous un revêtement, n'importe quelle faiblesse peut se cacher. Si la matière apparaît, on ne peut plus ignorer les défauts ou les vertus. On peut juger la qualité. L'architecture n'est plus un langage-emballage (design) mais une construction matérielle (architectonique).
2.4 Le rationalisme bien considéré
Le coût financier d'un matériau ou d'une construction reflète à la fois les dépenses énergétiques, la main d'oeuvre et les matériaux, en fonction de leurs disponibilités. Il conviendrait de bien distinguer leurs parts respectives, mais le modèle économique actuel ne le permet pas. Toutefois, il est possible de comparer le prix du bâtiment avec son coût énergétique. Le prix d'une construction reflète l'investissement énergétique : E grise (kWh) ≅ Prix vente neuf (€) × 3, calculable en sachant qu'une maison coûtant entre 150 k€ et 300 k€ a une énergie grise comprise entre 500.000 à 1.000.000 de kWh. Quant à l'énergie consommée, inutile de faire des bilans complexes, elle est mesurée par la facture annuelle du distributeur : E consommée (kWh/an) ≅ Facture (€) × 6 (le gaz est deux fois moins efficace avec le chauffage central). Réciproquement, on note qu'une énergie consommée directement (électricité : env. 0,15 €/kWh) apparaît deux fois moins chère que sa forme grise accumulée dans un chantier (0,30 €/kWh). L'énergie étant incompressible, elle explique donc 50% du prix de vente, soit la quasi-totalité des coûts réels puisque les 50% restants représentent les marges des entreprises (sous-traitants, constructeurs, vendeurs) ; ceci implique que main d'oeuvre et matériaux (soit les "ressources" humaine et matérielle, soit encore les biens naturels) sont réduits à une part négligeable dans le seul but d'augmenter les profits. Le rationalisme financier est à son sommet. Quant à l'amortissement énergétique, en économisant au mieux la consommation (10.000 kWh/an), il se fait en 100 ans, sans considérer les travaux d'entretien... En bref, il faut prendre le problème à la source, la construction, en appliquant le rationalisme à l'énergie et à la durabilité plutôt qu'aux matériaux et aux humains.
Certaines catégories de matières sont présentes en partout, directement utilisables en construction : terres, roches, sables, bois, fibres. A l'exception du bois, ces matériaux ne peuvent raisonnablement s'utiliser qu'en remplissage. Leur utilisation en élément porteur suppose des transformations souvent coûteuses en énergie ou en main d'oeuvre : tressages-imbrication (paille, pierres sèches), cuisson (brique, métaux, verre, ciment), mélanges (terre-paille, bois-textile, etc.), mélanges et cuisson (mortier, béton), extraction-fusion (métaux). Le coût énergétique augmente suivant l'importance de la transformation, comme l'indiquent l'énergie grise de quelques matériaux de construction en kWh/tonne (× masse volumique en t/m3) : Torchis = 20 (×0,3 à 1,5) ; béton = 200 (×2,2 à 2,5) ; bois d’œuvre = 500 (×0,5 à 1) ; brique = 800 (×1,8 à 2) ; panneau de particules en laine de bois = 2.500 (×0,15 à 0,25) ; contreplaqué = 5.000 à 8.000 (×0,5 à 0,7) ; tôle d’acier = 7.000 (×8) ; tôle de cuivre = 15.000 (×9) ; tôle d’aluminium = 7.000 (×2,7) ; zinc = 14.000 (×7) ; verre trempé = 7.000 (×5) ; verre non-trempé = 4.000 (×2,5)...
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