vendredi 10 mai 2024

Excursion Bergère-les-Vertus // Calcaires du Mont Aimé


https://www.samm-honfleur.com/gallery/20191204093730.jpg


Une projection sur Googlemaps, suivie d'une recherche sur le visualiseur Infoterre, permet de découvrir le Mont Aimé sur la commune de Bergère-les-Vertus, cinquante kilomètres au sud de Reims. C'est un parfait exemple de butte témoin qui offre une perspective unique sur la cuesta d'Ile-de-France. L'endroit est assez touristique, car il ouvre un point de vue à 360° sur la plaine environnante, et il se trouve occupé par l'homme depuis la Préhistoire... Passons sur ce passé trop récent, y compris les sépultures du Néolithique découvertes dans les années 1980 (2 hypogées avec une centaines d'individus datant de 3000~3500 av. J.C.)... Une réalité trop pesante, mieux vaut se distraire en lisant la description plutôt romantique faite en 1959 par le conservateur du musée d'Epernay, André Brisson, dans le Bulletin de la Société d'étude des sciences naturelles de Reims en 1959 (gallica.bnf.fr), p.6-10. C'est un site remarquable doublement inscrit à l'Inventaire national des patrimoines naturels, en géologie (inpn.mnhn.fr/site/inpg) et en milieu naturel (inpn.mnhn.fr/zone/znieff) avec quelques espèces que nous avons remarqué en fleur : les orchidées et surtout le cytise faux ébénier (Laburnum anagyroides), la glycine jaune du sud de la France. Attention, elle est très toxique (y compris les fleurs).

En géologie, il abrite l'un des rares affleurements possiblement de la transition K/T ; avant d'imaginer la fin tragique des dinosaures au Kreide / Tertiaire, il faut regarder les roches. Leur apparence est presque parfaite, proche de celle visible sur le littoral à Stevens Clint au Danemark : une craie tardive suivie d'une belle transgression, marquée par une couche marneuse (ici épaisse de 4 m), noire à sa base, recouverte par des calcaires durs à la stratigraphie oblique. Voilà qui répondrait aux cycles eustatiques observés à travers le monde. Mais une querelle sur deux siècles montre pour le Mont Aimé une hésitation lorsqu'il s'agit de dater la formation au-dessus de la craie, que l'on nommait autrefois "calcaire pisolithique" (voir photographie ci-dessous). Par ailleurs, les couches de marnes intercalées n'auraient montré aucun "pic d'iridium" attestant la chute de la fameuse météorite, mais où a été fait le sondage géochimique, qui l'a fait ? Si certains attribuent les formations au Tertiaire (Dano-montien) avec une faune remaniée du Crétacé (Maastrichtien), d'autres les attribuent tout simplement au Maastrichtien, en confondant ce calcaire sableux avec le tuffeau de Maastricht, pourtant d'un aspect bien différent. Tout ceci semble pour le moins bizarre, vu le contexte global (régression maastrichtienne / transgression danienne), mais un fait est certain : de très nombreuses espèces y sont nouvelles ! 

Si l'on suit les très récentes conclusions des savants du Muséum, cette grosse transgression daterait ici du Crétacé. Pas de limite K/T sur le Mont Aimé selon eux. Toutefois, quand je regarde la liste des espèces, je vois beaucoup trop de "sp." et les fossiles bien identifiés sont tantôt du Danien, tantôt du Maastrichtien.  Il est vrai que le tuffeau de Maastricht est très riche et l'on y trouve une foule de coquilles, et l'on en trouve plus rarement dans le Danien... Quel est donc la probabilité des recoupements ? Ma lecture reste en diagonale, trop pressée, car les auteurs semblent moins agités et plus affirmatifs : "le partage de formes abondantes avec le calcaire sableux basal de Vertus (Chama sp., Arca sp., Barbatia sp., Inoceramidae indét. et Vicinocerithium sp.) incite à reconnaître une association de taxons homogène radicalement différente de celles du Danien parisien" (Merle). Je garde le doute, j'attends de trouver une analyse de l'iridium dans la marne noire basale (il faudra un carottage).

Si l'on veut vérifier par soi-même et chercher des fossiles, c'est un vrai travail de bagnard, car il faut en briser du caillou pour trouver de beaux moulages. La plupart des Fossil Hunters préfèrent extraire des marnes à la base du front de taille, puis ils les tamisent tranquillement chez eux afin de prélever quelques dents de requin (geoforum.fr). Mais nous retiendrons surtout la présence régulièrement citée de dents de crocos, carapaces de tortues et surtout des empreintes de poissons qui se trouvent dispersés dans divers musées du coin (Chalons, Epernay) et d'ailleurs (Londres, Vienne, Paris) grâce à une personnalité marnaise, le baron Charles Louis de Ponsort (1792-1854), ancien officier de cavalerie sous Napoléon, qui avait obtenu dans ses vieux jours, entre 1847 et 1854, l’exclusivité d'une "exploitation paléontologique" des carrières du Mont-Aimé pour les revendre ensuite... Il accumula plus de 200 poissons, dont une partie fût léguée par son fils au musée de Chalons. Le plupart proviennent de la base où "Certaines intercalations de calcaires gréseux se débitant en plaques ont fourni de remarquables empreintes de poissons osseux" Où sont-ils ? Nous irons faire un tour le lendemain pour en trouver quatre en vitrine... On parle aussi d'un mosasaure, mais je n'ai rien trouvé de précis sur le sujet, quelqu'un a-t-il confondu le gavial avec le mosasaure ? Peut-être... 

Pour l'instant, le plus bel article concerne un récolement : Arnaud Brignon, "La collecte des vertébrés fossiles au Mont-Aimé (Marne) par le baron de Ponsort (1792-1854)", Bulletin d'Information des Géologues du Bassin de Paris, 54(3), pp.20-44 (researchgate.net).

Ci-après : biblio, plans, photographies...


Vue depuis la D9 au sud du Mont Aimé, montrant le sommet de la craie en haut des vignes



Notre échantillon de "calcaire pisolithique du Mont Aimé". Le secteur en haut à gauche montre une fine croûte de calcite formant de petites bulles à la manière des perles de cavernes nommées pisolithes, mais en réalité formée ici par des algues (lithotamnium). La partie à droite présente quant à elle un beau réseau de terriers fossiles, de type "thalassinoides".



Carte géologique tirée du BRGM (https://infoterre.brgm.fr/viewer/MainTileForward.do) où les dépots recouvrant le Campanien supérieur (C6j) sont encore datés de l'Éocène inférieur ou moyen (e1-2).

Source : Géopportail

La vue aérienne de Google avec les principaux fronts de carrière en rouge




Coupe extraite de : Paléoécologie des mollusques maastrichtiens du Mont Aimé et de Vertus (Marne) Conference Paper · October 2023





Voir la description Wikipedia (extraite de Gérard Bignot, Revue de micropaléontologie, t. 30, fascicule 3, p. 150-176, 1987 ; Études marnaises, supplément 2012, t. CXXVII, fig. 1 B, p. 242 et suppl.) : à 215 mètres d'altitude et moins, terrain à craie blanche du Campanien supérieur ; à 216-217 mètres, des marnes sableuses sur environ 3 mètres, dites « crasse des carriers » à ossements de crocodiliens et de tortues, et à dents de requins ; à 222 mètres, sur environ 1 mètre, une strate de calcaire coquillier contenant des empreintes de poissons (Oropycnodus ponsorti et Prolates heberti) ; entre 223 et 231 mètres, les calcaires lités ayant servi jadis à la construction et à l'empierrement des routes ; de 231 à 235 mètres, la présence d'une couche de calcaires gréseux avec des bancs de coquilles de lamellibranches (pierre des Faloises).

Coupe géologique historique de Viquesnel (1838) citée dans Stanislas Meunier, Géologie des environs de Paris, ou Description des terrains et énumération des fossiles qui s'y rencontrent ; suivie d'un Index géographique des localités fossilifères, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1875, p.76-79 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6439632t)



Citation de cet article : 
"CALCAIRE PISOLITHIQUE DU MONT AIMÉ. —Pour terminer cette revue géographique de quelques-unes des localités où se présente le calcaire pisolithique, citons le département de la Marne, où, comme nous l'avons déjà dit en passant, cette formation est très-développée. Au mont Aimé, le calcaire pisolithique est exploité sur 20 mètres d'épaisseur. Sa puissance totale est de 25 mètres. Les bancs supéieurs sont délités et impropres à la taille, mais plus bas se trouvent d'excellents matériaux. Les couches moyennes sont littéralement pétries de fossiles. On y trouve ces silex qui se fondent dans la roche, déjà signalés à Laversines, et qui constituent le corps le plus constant du calcaire pisolithique. En choisissant les échantillons, on peut passer du silex pyromaque proprement dit au calcaire légèrement siliceux. A mesure qu'on étudie des couches plus inférieures, on constate que les silex deviennent plus abondants et plus semblables en même temps aux silex de la craie. On en voit même du mont Aimé un lit de 30 à 40 centimètres qui sont identiques avec ces derniers. 
Dès 1838, Viquesnel a fait connaître (1[voir ci-dessus]) cette intéressante formation et en a donné la coupe suivante, qui va de haut en bas. 
Au mont Aimé, on a recueilli successivement de très-nombreux fossiles pisolithiques. Dans le nombre, nous citerons tout d'abord des végétaux qui ont été étudiés par M. Pomel d'une manière spéciale. Le genre Marchantia s'y trouverait représenté pour la première fois à l'état fossile, avec un Asplenium, un Aspidium, un Sphenopteris, des feuilles voisines de celles du châtaignier, du Corylus et du Caprifolium ; mais il n'y a point de palmiers ni de conifères. Comme on voit, ces végétaux montrent une grande différence avec ceux des dépôts plus anciens et des dépôts plus récents, en se rap- prochant toutefois des formes secondaires, pour s'écarter des formes tertiaires. A côté de ces plantes, les animaux sont très-nombreux, et il est indispensable d'en citer quelques-uns. Les poissons sont représentés par de nombreuses dents de squales et même par des empreintes complètes provenant d'une mince couche d'argile d'origine fluviatile, mentionnée déjà plus haut et ,qui contient en même temps des végétaux. Comme reptiles pisolithiques, il faut citer en première ligne le Gavialis macrorhynchus, dont on possède de beaux échantillons. C'est une espèce de crocodiliens ayant le museau allongé des gavials, la forme concavo-convexe de leurs vertèbres, à peu près la même disposition dentaire, et paraissant ne se distinguer de l'espèce actuelle que par quelques modifications dans la disposition des sutures crâniennes et par quelques légères différences de formes. On peut en voir au Muséum des échantillons décrits par de Blainville. M. Hébert en a rapporté du terrain crétacé de Maestricht qui, comme on a vu, offrent avec le calcaire pisolithique de très apparentes analogies. M. de Brimont a découvert au mont Aimé une belle carapace de tortue. D'après M. Paul Gervais, elle provient d'un animal voisin des Trionyx ou des Chélonées, mais différant certainement, comme genre, des espèces citées précédemment. « C'est, dit-il, un fossile à rechercher,. et dont la description offrira un intérêt incontestable. » 
Un peu au nord du mont Aimé, le calcaire pisolithique forme la falaise qui domine Vertus et que représente la figure. Depuis un temps immémorial, de vastes carrières sont ouvertes dans cette roche, connue dans la pratique sous le nom de pierre de Falaise. Sur la façade extérieure elle est dure et offre des indices de strati- fication ; mais à l'intérieur elle est fort tendre, friable même, presque en masse et d'un blanc de lait. Malgré sa friabilité crayeuse, on la travaille en pierre de taille, car elle durcit promptement à l'air et est fort durable. D'anciens édifices de la contrée en sont construits."



Les quatre fossiles du Mont Aimé encore exposés dans une vitrine perdue au milieu du "musée" de Chalons-en-Champagne ; lequel, il faut bien le dire, a été complètement massacré... Heureusement, il reste une salle des oiseaux qui évoque encore le temps lointain des savants, ou quelques tableaux tristement isolés dans la salle des peintures autrefois débordante (mais toujours avec ses attributions douteuses). Et pas un mot sur le baron Charles Louis de Ponsort... Pauvre de lui.




"Crâne de Thoracosaurus isorhynchus (Pomel, 1847), lectotype (MNHN.F.MTA61). Il fut découvert en 1844 dans une des carrières du Mont-Aimé, alors en exploitation. Le carrier, un certain Verdet, avait apporté le bloc de calcaire contenant le spécimen à François Marie Arnould (1783-1858), juge au tribunal civil de Châlons-sur-Marne. Le baron de Ponsort se procura ensuite le spécimen et le vendit au Muséum d’Histoire naturelle vers le mois de février 1847 pour la somme de 200 francs. Le spécimen fut étudié par Auguste Pomel (1847) et fait partie du matériel type sur lequel il établit Crocodilus (Gavialis) isorhynchus. Ce crâne fut figuré en 1852 par Gervais (1848-1852, vol. 3, pl. 59, fig. 18 sur laquelle a été reconstituée la partie antérieure manquante) et, à titre posthume, par de Blainville (1855, genre Crocodilus, pl. 6, figure de droite) sous le nom de Gavialis macrorhynchus (= Crocodilus macrorhynchus), synonyme objectif plus récent de Thoracosaurus isorhynchus (Pomel, 1847). Vues dorsale (A), occipitale (B) et latérale gauche (C)." (dixit Arnaud Brignon).


"Quelques actinoptérygiens du Mont-Aimé de la collection de Ponsort conservés au Musée des Beaux-arts et d’Archéologie de Châlons-en-Champagne. Ces spécimens furent offerts par son fils, Anatole Charles de Ponsort, le 18 décembre 1861 et entrèrent au musée le 25 mars 1862. A et B, Prolates heberti (Sauvage, 1883) (A : numéro de collection 862-1-57 ; B : 862-1-73). C à E, Oropycnodus ponsorti (Heckel, 1854) (C : 862-1-94 ; D : 862-1-86 ; E : 862-1-84). F, dentition vomérienne de Pycnodontidae, holotype de ‘Coelodus’ laurentii Priem, 1908, numéro de collection 862-1-97. Échelle : 3 cm (A-E) et 1 cm (F)." (dixit Arnaud Brignon)






Concernant la bibliographie, les études sérieuses débutent avec Giampietro Braga et Gérard Bignot, "Les Bryozoaires de la formation d'âge paléocène (Danien probable) du Mont Aimé (Marne, Bassin parisien)", dans Geobios, Volume 19, Issue 6, 1986, Pages 871 (sciencedirect.com). La même l'hypothèse est reprise dans Gérard Bignot, Florence Quesnel, Chantal Bourdillon. Le Crétacé terminal et le Paléocène basal de l’Europe nord-occidentale. Géologie de la France, 1997, pp.21-27 (brgm.hal.science). Le bureau des recherches géologiques et minières poursuit la piste du Tertiaire dans une publications récente d'Hubert Guérin ,"Le Mont Aimé à la limite Crétacé-Tertiaire dans le Bassin parisien", Travaux du Comité français d'Histoire de la Géologie, 2015, 3ème série, tome 29/4, pp.71-77 (hal.science). Mais le Muséum national d'histoire naturelle affirme le contraire dans Didier Merle, Paléoécologie des mollusques du maastrichtien du Mont Aimé et de Vertus, 2023 (researchgate.net) en étudiant les moulages laissés dans les calcaires fins, très bien conservés (il ne s'agit donc pas de fossiles remaniés). L'article donne contexte paléoécologique, juste sous le niveau de basse mer (infralittoral). Sa datation confimait l'étude de Claude  Guernet et Loïc Villier, "Les ostracodes de la collection de P. Margerie et l’âge des couches à Laffittéines du Mont Aimé (bassin de Paris, France)". Geodiversitas 39 (2),  2017, pp. 225-249. (sciencepress.mnhn.fr) où était affirmé que les laminites marno-sableuses à la base de la série ("couches à Laffittéines") était maastrichtiennes. 

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