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https://www.samm-honfleur.com/gallery/20191204093730.jpg |
Une projection sur Googlemaps, suivie d'une recherche sur le visualiseur Infoterre, permet de découvrir le Mont Aimé sur la commune de Bergère-les-Vertus, cinquante kilomètres au sud de Reims. C'est un parfait exemple de butte témoin qui offre une perspective unique sur la cuesta d'Ile-de-France. L'endroit est assez touristique, car il ouvre un point de vue à 360° sur la plaine environnante, et il se trouve occupé par l'homme depuis la Préhistoire... Passons sur ce passé trop récent, y compris les sépultures du Néolithique découvertes dans les années 1980 (2 hypogées avec une centaines d'individus datant de 3000~3500 av. J.C.)... Une réalité trop pesante, mieux vaut se distraire en lisant la description plutôt romantique faite en 1959 par le conservateur du musée d'Epernay, André Brisson, dans le B
ulletin de la Société d'étude des sciences naturelles de Reims en 1959 (
gallica.bnf.fr), p.6-10. C'est un site remarquable doublement inscrit à l'Inventaire national des patrimoines naturels, en géologie (
inpn.mnhn.fr/site/inpg) et en milieu naturel (
inpn.mnhn.fr/zone/znieff) avec quelques espèces que nous avons remarqué en fleur : les orchidées et surtout le cytise faux ébénier (
Laburnum anagyroides), la glycine jaune du sud de la France. Attention, elle est très toxique (y compris les fleurs).
En géologie, il abrite l'un des rares affleurements possiblement de la transition K/T ; avant d'imaginer la fin tragique des dinosaures au Kreide / Tertiaire, il faut regarder les roches. Leur apparence est presque parfaite, proche de celle visible sur le littoral à Stevens Clint au Danemark : une craie tardive suivie d'une belle transgression, marquée par une couche marneuse (ici épaisse de 4 m), noire à sa base, recouverte par des calcaires durs à la stratigraphie oblique. Voilà qui répondrait aux cycles eustatiques observés à travers le monde. Mais une querelle sur deux siècles montre pour le Mont Aimé une hésitation lorsqu'il s'agit de dater la formation au-dessus de la craie, que l'on nommait autrefois "calcaire pisolithique" (voir photographie ci-dessous). Par ailleurs, les couches de marnes intercalées n'auraient montré aucun "pic d'iridium" attestant la chute de la fameuse météorite, mais où a été fait le sondage géochimique, qui l'a fait ? Si certains attribuent les formations au Tertiaire (Dano-montien) avec une faune remaniée du Crétacé (Maastrichtien), d'autres les attribuent tout simplement au Maastrichtien, en confondant ce calcaire sableux avec le tuffeau de Maastricht, pourtant d'un aspect bien différent. Tout ceci semble pour le moins bizarre, vu le contexte global (régression maastrichtienne / transgression danienne), mais un fait est certain : de très nombreuses espèces y sont nouvelles !
Si l'on suit les très récentes conclusions des savants du Muséum, cette grosse transgression daterait ici du Crétacé. Pas de limite K/T sur le Mont Aimé selon eux. Toutefois, quand je regarde la liste des espèces, je vois beaucoup trop de "sp." et les fossiles bien identifiés sont tantôt du Danien, tantôt du Maastrichtien. Il est vrai que le tuffeau de Maastricht est très riche et l'on y trouve une foule de coquilles, et l'on en trouve plus rarement dans le Danien... Quel est donc la probabilité des recoupements ? Ma lecture reste en diagonale, trop pressée, car les auteurs semblent moins agités et plus affirmatifs : "le partage de formes abondantes avec le calcaire sableux basal de Vertus (Chama sp., Arca sp., Barbatia sp., Inoceramidae indét. et Vicinocerithium sp.) incite à reconnaître une association de taxons homogène radicalement différente de celles du Danien parisien" (Merle). Je garde le doute, j'attends de trouver une analyse de l'iridium dans la marne noire basale (il faudra un carottage).
Si l'on veut vérifier par soi-même et chercher des fossiles, c'est un vrai travail de bagnard, car il faut en briser du caillou pour trouver de beaux moulages. La plupart des
Fossil Hunters préfèrent extraire des marnes à la base du front de taille, puis ils les tamisent tranquillement chez eux afin de prélever quelques dents de requin (
geoforum.fr). Mais nous retiendrons surtout la présence régulièrement citée de dents de crocos, carapaces de tortues et surtout des empreintes de poissons qui se trouvent dispersés dans divers musées du coin (Chalons, Epernay) et d'ailleurs (Londres, Vienne, Paris) grâce à une personnalité marnaise, le baron Charles Louis de Ponsort (1792-1854), ancien officier de cavalerie sous Napoléon, qui avait obtenu dans ses vieux jours, entre 1847 et 1854, l’exclusivité d'une "exploitation paléontologique" des carrières du Mont-Aimé pour les revendre ensuite... Il accumula plus de 200 poissons, dont une partie fût léguée par son fils au musée de Chalons. Le plupart proviennent de la base où "Certaines intercalations de calcaires gréseux se débitant en plaques ont fourni de remarquables empreintes de poissons osseux" Où sont-ils ? Nous irons faire un tour le lendemain pour en trouver quatre en vitrine... On parle aussi d'un mosasaure, mais je n'ai rien trouvé de précis sur le sujet, quelqu'un a-t-il confondu le gavial avec le mosasaure ? Peut-être...
Pour l'instant, le plus bel article concerne un récolement : Arnaud Brignon, "La collecte des vertébrés fossiles au Mont-Aimé (Marne) par le baron de Ponsort (1792-1854)",
Bulletin d'Information des Géologues du Bassin de Paris, 54(3), pp.20-44 (
researchgate.net).
Ci-après : biblio, plans, photographies...