lundi 28 mars 2022

Le Guide // Reims VAH musées architectures paysages

Préparation à la rédaction du texte du service patrimoine (Elisabeth) pour le "guide VAH" des éditions du patrimoine (Pauline)... Les principales sources pour l'orientation générale des textes (contenus) sont celles approuvées, soit le texte du renouvellement de convention (part. I, "histoire de Reims") et les différents textes des cartels avec des sites choisis grâce à la collaboration des comité de quartier (part. II, le guide, les itinéraires). La rédaction définitive se fera avec le soutien d'un comité de relecture (URCA)

Parie I : prévoir 2000 sgn/p x 30 pages pour l'historique = 60.000 sgn

Partie II : prévoir 5 itinéraires de 25 pages  = 50.000 sgn x 5 = 250.000 sgn 

Ci-après : le texte de la convention donne le plan et le chemin-de-fer des textes la partie I du guide. Ce chapitre doit plus particulièrement cibler des "objets" histroriques non-visibles comme patrimoine matériel : personnages, illustrations, ouvrages, plans, cartes, fouilles, etc. voire traditions, culiniare...


I. L'histoire de Reims

I.1) Les traces archéologiques de la cité antique


    • Contexte historique urbain

L’origine de la cité gauloise de Durocorter reste spéculative, possiblement constituée au IIe s. av. JC en attirant les populations alentours de la tribu des Rèmes1. Il n’y a dans Reims que de rares éléments remontant à cette occupation (rue des Capucins). Les fouilles ont montré la présence de sept nécropoles en périphérie, ainsi que des segments de rempart rattachés à une « enceinte primitive » circulaire du Ier s. av. JC (~90 hectares).

La cité gallo-romaine de Durocortorum marque une soudaine expansion. La ville est alliée de Rome (Fœdus) et devient capitale de la Gaule Belgique. Elle s'accroît durant la Pax romana, protégée à l’est par la « grande enceinte » (datée du Ier s. ap. J.C.2) et à l’ouest par les marais des bords de Vesle. Couvrant entre 500 et 600 hectares (de l’hyper-centre actuel aux abords des faubourgs), elle est la plus vaste ville gallo-romaine du territoire français, devant Paris (Lutetia, 450 ha) et la capitale des Gaules, Lyon (Lugdunum, 350 ha)3. La ville a tiré avantage de son alliance avec César et de sa situation au carrefour de la via agrippa de l’Océan (vers la Grande Bretagne) et des routes menant au Limes germanique. Durocortorum possédait un « centre monumental » dont l’entrée était marquée par quatre arcs monumentaux (I-IIe s.). 

Comme pour de nombreuses villes, de nouvelles fortifications sont élevées lors des « Invasions barbares » (la troisième, dite « enceinte du Bas-Empire », du IVe siècle). L’emplacement de cette muraille tardive édifiée à la fin de l’Empire se perçoit dans le tracé des rues et dans l’implantation de monuments subsistants ou reconstitués.

    • Sites représentatifs / avant le Ve siècle

Les sites visibles et représentatifs se limitent à la Porte de Mars, au Cryptoportique, à la Porte Bazée (réinterprétée au XVIIIe siècle), ainsi qu’à l’ancien site de fouilles archéologiques des thermes (associés au baptistère de Clovis), situé sous la cathédrale et inaccessible au public. Il est probable que certaines caves comportent également des éléments remontant à l’Antiquité (reliés au forum, à de possibles carrières, etc.).

Autrefois englobés dans des ouvrages tardifs (Porte de Mars) ou enfouis sous le sol (Cryptoportique), ces sites ont été transformés en monuments après dégagement et restauration (XIXe à début XXe). Quant aux vestiges nouvellement découverts, s’ils bénéficient systématiquement de fouilles et d’études, ils ne sont plus valorisés in situ.

Outre les édifices emblématiques, il faut également signaler la persistance de tracés historiques comme l’ovale de la muraille du Haut Empire romain, encadrant 55 hectares, immédiatement repérable dans les plans de ville et formant encore le cœur de la cité.

La continuité des fonctions urbaines est aussi remarquable, y compris l’emplacement et les activités du forum, à la croisée du cardo et du decumanus qui déterminent toujours la direction des rues. Dans leur prolongement, la plupart des grands axes urbains en sortie de ville reprennent les célèbres routes romaines menant à Bavay, Cologne, Trèves, Verdun (Metz-Lyon-Rome), Châlons-en-Champagne (Sens), Soissons (Boulogne-s/Mer), St-Quentin (Thérouanne)...

    • Etudes et inventaires

De nombreux objets antiques, aujourd’hui exposés dans différents musées ou entreposés dans les réserves, proviennent des fouilles menées à Reims entre le XVIIIe et le début du XXe siècle, lors des travaux effectués dans le centre monumental ou lors de l’édification des faubourgs ouvriers réimplantés à l’intérieur de la « grande enceinte » de Durocortorum. Ces découvertes anciennes, bien qu’elles soient intéressantes en elles-mêmes, apportent cependant peu d’éléments pour la compréhension des sites, l’organisation de la ville, ou la vie quotidienne de l’époque. 

L’importance de Durocortorum et la présence sur l’ensemble du territoire de sites gaulois, gallo-romains (et médiévaux), conduisent à mener systématiquement des fouilles lors des travaux. Dans les années 1980, les découvertes de l’archéologue Robert Neiss ont donné lieu aux premières valorisations interprétatives, notamment des publications et la scénographie du musée Saint-Remi (qui doit être remise à jour4 avant 2023).

Ces fouilles ont d’abord été menées sous la direction du Service Régional d’Archéologie (SRA) par des associations : Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan), Reims Histoire Archéologie (RHA), Groupe d'études archéologiques Champagne-Ardenne (GEACA). Elles sont, depuis la loi de 20015, le domaine de compétences de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) auquel s’est ajouté, en 2008, un service Archéologie rattaché à la Ville puis au Grand Reims.

Il faut attendre ces deux dernières décennies, avec les grandes rénovations urbaines et les « fouilles préventives » obligatoires, pour saisir le contexte social, historique, urbain des quartiers antiques (rénovation de friches industrielles dans les faubourgs), des fortifications (à l’emplacement de la médiathèque Jean-Falala), mais aussi des principaux monuments grâce à l’amélioration des approches comparatistes avec d’autres villes (forum, thermes, arcs, temples...).

    • Regard actuel

L’archéologie est un domaine qui attire naturellement la curiosité (dès l’enfance), et la découverte d’objets rares ou précieux fascine toujours le grand public et attire les médias. La fréquentation des sites patrimoniaux de l’Antiquité pourrait être plus importante. Les visiteurs sont bien là pour le Cryptoportique (15~20.000 vis./2016-20186) et surtout la Porte de Mars, qui recueille de nombreux commentaires en ligne, mais les sites sont mal-notés7 du fait d’une absence d’accueil et surtout d’explications (peu de visites, pas de panneau explicatif détaillé avant 2020).

On peut remarquer des fréquentations comparables à celles du musée historique St-Remi (~23.000 vis./2018) qui présente dans ses vitrines d’importantes collections relatives à l’Antiquité (cénotaphe élevé aux Princes de la Jeunesse, autel de Cernunnos, tombeau de Jovin, fresques, mosaïques…). Par ailleurs, il couvre également d’autres périodes (Préhistoire, Moyen-Âge, Epoque Moderne...).

Ce patrimoine ne cesse de s'accroître grâce aux fouilles préventives, appuyées par de nombreuses publications8, notamment sur l’Antiquité. Le matériel, les relevés, les comptes-rendus, les publications restent cependant inabordables du fait de leur degré de technicité : actuellement, aucun outil de médiation ne rend accessible ces découvertes à un public élargi (projet en cours, dans le musée St-Remi). Des événements ponctuels (Journées européennes du Patrimoine, Journée européennes de l’Archéologie, Fête de la science) sont aujourd’hui les seuls moments où il est possible de faire visiter les sites, de donner des conférences ou d’accéder aux réserves du service Archéologie, situé en périphérie de ville (28 rue Robert Fulton).

Ce patrimoine apparaît malmené : les vestiges ont été négligés dans l’espace urbain, et aucun site n’a bénéficié de mise en valeur in situ depuis un siècle9. Plus grand arc monumental conservé, la Porte de Mars vient de bénéficier d’une restauration et d’un aménagement, mais elle longeait un rond-point jusqu’en 2015, cachée derrière une œuvre contemporaine. Le cryptoportique est encore dans une situation délicate : en mauvais état, il reste peu accessible et difficilement compréhensible. Durant l’été, il sert simplement d’arrière-plan à une scène musicale de plein air (depuis 2010).

Palais du Tau (OT), Pauline Colin

I. 2) Les lieux de mémoire du Moyen Âge


    • Contexte historique urbain

Avec la fin de l’Empire Romain, la position de Reims sur un carrefour proche des frontières s’avère délicate, mais elle prend une autre importance suite au baptême de Clovis qui marque l’union de la noblesse franque, autrefois désignée comme « barbare » avec l'ancienne aristocratie gallo-romaine, convertis au catholicisme, Si cet événement apparaît contestable dans les surinterprétations faites par les historiens pendant plus d'un millénaire, le développement de la nécropole chrétienne autour de Jovin, de saint Nicaise, de saint Remi, de saint Julien ou de saint Sixte a laissé des traces historiques et archéologiques (quartiers Saint-Remi et Saint-Nicaise) prouvant un développement certain de la cité sous les Mérovingiens, avec ses basiliques suburbaines. Si le baptême de Clovis est un mythe, celui-ci se transforme rapidement en réalités historiques, archéologiques et patrimoniales.

Le récit du « baptême de Clovis » relate surtout l’importance des premiers évêques de Reims. Cette position s'amplifie à l’époque carolingienne, les recherches ayant  démontré le rôle joué par l’archevêque Hincmar et l’historien Flodoard dans l’invention du rituel du sacre inspiré par ce baptême. Si Reims perd alors en puissance relativement à Paris, elle va devenir « ville des sacres » et multiplier ses édifices religieux.

Comme pour l’Antiquité, cette position-clef inscrite dans les récits n’a pratiquement laissé que des vestiges enfouis, invisibles à l’exception de quelques objets issus des fouilles et surtout des nombreux manuscrits produits dans les abbayes de Reims et des environs, en partie conservés dans les fonds de la bibliothèque Carnegie.

Après ce premier âge d’or des abbayes viennent « les siècles du grand essor (XIe-XIIIe) »10 :

le Moyen Âge central figure une période particulièrement faste pour la métropole religieuse qui ré-édifie ses églises, sort des remparts du IVe siècle, s’accroît jusqu’au bourg Saint-Remi le long du cardo maximus, et s’étend à l’ouest (actuelle place d’Erlon).

À la fin du Moyen-Âge, le paysage urbain a radicalement changé avec de nombreuses abbayes, d’imposantes églises gothiques, des rues bordées de maisons à pans de bois… L’ensemble vient se placer à l’intérieur des fortifications imposées par Philippe Auguste (achevées seulement au XIVe siècle). A l’extérieur, les premiers faubourgs (Jaurès, Courlancy, Laon) se dévellopent  autour des axes reprenant les anciennes voies romaines.

Ce paysage urbain du Moyen-Âge est encore celui représenté à la fin du XVIe siècle dans la « vue de Reims » par Chastillon11. Pour la première fois, bien qu’ils soient souvent plus tardifs, des documents figurés permettent de bien percevoir la ville et ses monuments.

    • Sites représentatifs / Ve - XVe siècle

La ville médiévale a presque totalement disparu suite à la Révolution et à la Première Guerre mondiale. À ces pertes s’ajoute, comme dans les autres grandes villes françaises, le démantèlement des fortifications au XIXe siècle, réduites à quelques traces disparates : parc autour du chevet de la basilique Saint-Remi, butte Saint-Nicaise, parc des Arènes du Sud. Si l’on excepte les sites archéologiques et les petits éléments isolés, les édifices de cette période se limitent donc aux principaux monuments du Moyen-Âge central. 

Le célèbre ensemble cathédrale-palais-basilique compense la rareté des sites présents à Reims : hormis ces trois exemples, seule l’église paroissiale St-Jacques peut prétendre être représentative de la période. Les autres biens se réduisent à une douzaine d’édifices « monumentaux », terme impropre puisque la plupart sont des vestiges (Trésor, butte St-Nicaise, couvent des Cordeliers, couvent des Jacobins), parfois isolés et intégrés dans des bâtiments plus récents (palais de Justice, palais du Tau, musée St-Remi) ; des éléments lapidaires sont visibles dans les collections (du palais du Tau et du musée St-Remi) ou sont intégrés dans des reconstitutions datant des années 1920 (maisons, portes, portails).

Pour compléter la liste, il convient d’évoquer un patrimoine souterrain constitué de nombreuses cavités préservées sous les édifices reconstruits : le plus célèbre exemple appartient à la Maison Taittinger qui intègre la partie souterraine de l’ancienne abbaye Saint-Nicaise. D’autres caves médiévales sont présentes sous la ville, mais le plus souvent inaccessibles au public car relevant du domaine privé. L’une d’entre elles (rue Réville) a été classée MH, mais n’est pas visitable. Il n’y a pas d’études publiées, en dehors des crayères rattachées aux Maisons de champagne de la colline Saint-Nicaise, qui sont en grande majorité plus tardives. Pour le centre-ville, les premières recherches menées dans le cadre du « Site patrimonial remarquable » (cf. III.5, p.69 : SPR) démontrent une forte présence de vestiges souterrains intégrés aux fondations des édifices reconstruits.

Contrastant avec la rareté des constructions, les traces urbaines médiévales sont particulièrement visibles : outre l’emplacement des anciennes fortifications et des portes de la ville (où passent les rues sortant du centre-ville), l’axe le plus symbolique nommé « Voie des Sacres » (issue de la traditionnelle « Cavalcade ») fait encore régulièrement l’objet d’opérations urbaines à visée mémorielle.

Au plan immatériel, des éléments se transmettent depuis le Moyen-Âge : des savoir-faire dans le textile ont perduré jusqu’au siècle dernier ; des traditions religieuses se retrouvent dans le rôle de l’archevêque12, les offices (fête de st Remi, processions, Temps pascal…), la Maîtrise de la Cathédrale fondée au XIIIe siècle, et certains chants13.

    • Etudes et inventaires

« Reims, ville du sacre » illustre les propos de Pierre Nora dans Les Lieux de mémoire, suivant une démonstration opérée par Jacques Le Goff dans le volume consacré à « La Nation » : la ville cumule ces précieux points de croisements, longtemps appréciés des historiens, où la brièveté d’un événement local vient rejoindre la longue histoire du roman national, dans une dialectique riche et unique qui se prolonge dans les discours politiques jusqu’à la plus récente actualité14.

Point de départ, le « baptême de Clovis » est aujourd’hui légitimement interrogé. Pour les médiévistes contemporains15, la date traditionnelle de 496 n’est plus acceptable et le lieu pourrait ne pas être pas le baptistère découvert sous la cathédrale ; quant à l’importance de l’événement aux yeux des contemporains de Clovis, il n’en reste aucune trace avant sa description par Grégoire de Tours, trois quarts de siècle plus tard16... Mais ce manuscrit n’en marque pas moins le début d’un récit fondateur dans l’histoire de France : interrogée depuis la fin du XXe siècle, l’illumination chrétienne du roi franc s’interprète dans sa réinvention par les archevêques et historiens des IX-Xe siècles. 

Il serait inutile de dresser la liste des travaux portant sur les plus célèbres édifices de Reims, d’autant plus que le spécialiste de la question, Patrick Demouy17, est un universitaire rémois, auteur d’ouvrages de vulgarisation18. Compte-tenu de l’abondance des sources, il s’avère plus intéressant d’aborder l’angle de la réception (cf. § suiv. p.34).

On peut toutefois signaler qu’en dehors des monuments-phares et des célèbres dépôts lapidaires, les autres patrimoines de cette période retiennent moins l’intérêt des historiens. Seules les enceintes médiévales bénéficient régulièrement de travaux d’études. Les portes et fortifications sont appréciées par les promeneurs romantiques de la fin du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, y compris au moment du démantèlement19. Récemment, les archéologues ont publié des travaux synthétiques et comparatifs20. Autre exception, la façade de la maison « des musiciens » reconstituée in situ (2020-2021), décrite par Viollet-le-Duc, dont les statues sont exposées au musée St-Remi et des copies du XIXe siècle déposées à la Cité de l’architecture et du patrimoine21.

    •  Regard actuel

Reims apparaît comme une ville d’accueil depuis le Haut Moyen-Âge pour les pèlerins visitant ses sanctuaires22, une pratique qui se renforce au XIIIe siècle à travers le sacre mobilisant progressivement les foules... 

Les premiers récits de voyageurs décrivent reliques et édifices religieux, puis les sujets se diversifient. Si la Révolution marque une rupture par les destructions et les saisies de nombreux biens, l’héritage de la cathédrale se réinvente en 1825, le sacre de Charles X s’accompagnant d’une redécouverte de Reims par des gens de lettres comme Charles Nodier et Victor Hugo23. Ils cherchent dans l'événement et dans la ville les reflets du passé pour aboutir sur une nouvelle histoire qui s'intégrera plus tard au « roman national » porté par la IIIe République. Reims accompagne ainsi la naissance du tourisme, du patrimoine et de l’Histoire de France, en prolongement du mouvement Romantique. 

La cathédrale des sacres s’impose dans les écrits des grands historiens de l’architecture (Viollet-le-Duc), puis des premiers guides touristiques (Joanne). Citant et décrivant les monuments, mais également les places, statues et maisons anciennes, ces textes conservent néanmoins une distance prudente vis à vis du sacre - en tant que rituel religieux - dans une histoire qu’assimile progressivement la République. Cette forme de réappropriation patrimoniale se renforce après le drame de l’incendie de la cathédrale en 191424, qui impulse sa valorisation à échelle internationale. Le succès se poursuit aujourd’hui encore avec un million et demi de visiteurs par an25.

On peut interroger les motivations des touristes qui découvrent ici un « chef d'œuvre gothique » : quelle dimension critique environne leur visite ? Ont-il conscience de la part du mythe, des mises en récit ? Ou des enjeux qui entourent la sublimation du monument dans la suite de la Restauration, ou dans l’élan nationaliste des années 1920 ?

    • 10% environ des visiteurs poursuivent leur découverte dans le palais du Tau...

    • 5% environ poussent l’exploration jusqu’à la basilique Saint-Remi...

Presque aucun touriste ne cherche à approfondir la ville médiévale, certes d’un intérêt bien moindre. Mais ils sont tout aussi peu nombreux à aller vers d’autres patrimoines historiques dans la ville, à l’exception des Maisons de champagne.

    • Un grand événement historique : le « baptême de Clovis »

Si la cathédrale est célèbre pour son histoire et son esthétique, ses origines s’effacent : le récit du « Baptême de Clovis », discrédité par son instrumentalisation politique26 et par la recherche contemporaine27, se réduit à une date invérifiable. La page Wikipedia est presque vide et les réponses Google rares. Une re-médiation s’avère nécessaire : le baptême en lui-même a peu d’importance face à l’avalanche des faits qu’il provoque, car c’est par sa réception qu’un événement devient historique.

Il est cependant toujours possible de revivre l’enthousiasme poétique exprimé dans la conclusion de l’Histoire de la Gaule : «  la Gaule échappera à la ruine du monde impérial, elle trouvera son salut dans les Francs de sa frontière, et c'est à eux que reviendra la tâche de reprendre et de continuer son unité nationale. Quand les empereurs de Rome n'écoutent plus les voix de la Gaule, un roi des Francs sera près d'elle pour répondre à son appel. »28 Ce texte de Camille Jullian est un succès éditorial des années 1920, quand le portrait d’une France unifiée, personnifiée, indestructible, prend un autre sens. Au-delà des faits, l’événement se construit par les récits, relatant une relation aux hommes, aux mythes, aux territoires, aux frontières… Ecrits et réalités s’entremêlent depuis que Reims est devenue « ville des sacres »...

Illustr. Baptême de Clovis, plaque de reliure en ivoire (Amiens, musée de Picardie), IXe siècle

I. 3) Les monuments classiques de l'Epoque Moderne


    • Contexte historique urbain

Considérée au sens large sur trois siècles (XVIe-XVIIIe), l'Epoque Moderne à Reims est difficilement identifiable en tant que telle, car elle n’intègre ni un accroissement urbain lisible - la cité restant enserrée dans ses fortifications médiévales -, ni un récit d’ensemble cohérent, rattaché à la culture générale. C’est un moment exceptionnel où la ville n’est pas associée à un « lieu commun » rapprochant de manière évidente le patrimoine à l’Histoire, à la manière de la ville antique (Durocortorum), médiévale (cité des sacres), industrielle (cité du champagne) ou reconstruite (Grande Guerre)...

La période est représentée par des éléments dispersés et isolés, le plus souvent repérables sous forme de « monuments », leurs dimensions ayant conduit à les préserver après la Première Guerre mondiale. Peu connus, ils ne sont pourtant pas dénués d’intérêt dans une lecture d’ensemble car ils reflètent parfaitement les grandes transformations urbaines qui suivent les idéaux de cette période (Humanisme et Lumières). Ils s’expriment dans une architecture Renaissance de plus en plus rigoureusement classique, s'appuyant sur les vérités du moment  : les modèles antiques (parfois tirés de l’histoire de la cité), les développements éducatifs (Université, Jésuites, Lasalliens) et les prérogatives hygiénistes (embellissements, places, fontaines, réinvention du cimetière-nécropole).

La dimension paroxysmique de ce classicisme est atteinte lors de la réimplantation de la place centrale de la ville (place Royale) à la croisée des cardo et decumanus, avec au centre la statue de Louis XV « vêtu à la romaine ». La symbolique du lieu, avec son modèle tiré du passé, se renverse lorsque Philippe Rühl y brise la Sainte Ampoule, en 1793. La signification du lieu bascule et le « sémiophore »29 s’inscrit désormais dans le célèbre récit de la « cité des sacres », marquant sa fin avec la chute de l’Ancien Régime.

    • Sites représentatifs / XVIe-XVIIIe siècle

S’ajoutant aux « traces archéologiques » et aux « lieux de mémoires », les « monuments classiques » ont presque tous été inscrits ou classés aux MH. Ces mesures concernent une vingtaine de sites pouvant être listés : Hôtel de Ville, Maison natale de Jean-Baptiste de la Salle, Pavillon de Muire, Hôtel de Bezannes (reconstitué), portail rue de la Grue (vestige), Abbaye St-Denis (musée des Beaux-Arts), Collège des Jésuites, Porte du Chapitre (reconstituée), Fontaine des Carmes rue du Barbâtre, Place Royale et monument à Louis XV, Fontaine des Boucheries, Chapelle du cimetière Nord, Crayères de la Maison de champagne Ruinart, Promenades, Hôtel Ponsardin, Porte dite de La Pourcelette (7 - et non 1 - rue d'Anjou), Hôtel Le Vergeur, et une maison (5 rue du Marc), Porte de Paris (déplacée). Le palais du Tau et le musée St-Remi recoupent en partie cette période.

La destruction de la ville a poussé les MH, sous la pression des érudits locaux, à conserver tous les témoins de la ville ancienne, comme les vestiges déplacés ou totalement reconstitués, voire des éléments dont l’intérêt peut être interrogé (portail au 3, rue de la Grue, porte de la Pourcelette, ancienne porte de l’église Saint-Michel).

Pour compléter cette liste, il faut ajouter deux « témoins » qui n’ont pas été retenus par les MH et présentent un intérêt historique : les piliers qui soutenaient la Porte de Paris (rue du Colonel Fabien) ; ainsi que l’exceptionnelle Tour Fery dite château d’eau (rue de Taissy), datant de 1748, ouvrage associé au pompage de l’eau qui alimentait les fontaines de la ville (les deux subsistantes, l’une en vestige et l’autre déplacée, sont classées MH).

Par ailleurs, les aménagements urbains marquent encore le paysage du centre de Reims et les plus importants ont été intégrés aux MH (Promenades, place Royale).

Quant au patrimoine immatériel, contrairement aux périodes précédentes, les héritages culturels sont très nombreux dans les lieux et traditions sociales, notamment éducatives (Lasalliens, Jésuites…) ou hygiénistes. Concernant la proto-industrie, les productions et patronymes sont parfois encore rattachés à de célèbres familles de négociants, autrefois dans le textile puis reconverties dans le champagne. 

    • Etudes et inventaires

Comme une majorité de bâtiments en pierre de grandes dimensions (plus anciens ou plus récents), les monuments ayant résisté aux destructions de 1914-1918 ont été soigneusement préservés, restaurés, reconstitués, puis inscrits ou classés aux Monuments Historiques. Cet attachement se justifie relativement aux pertes subies, mais les études sont limitées. 

Bien qu’ils datent souvent du XIXe ou du début du XXe siècle, les remarquables travaux d’érudition publiés par l’Académie nationale de Reims30 restent souvent la seule référence31 pour l’étude de cette période.

D’un intérêt plus symbolique que patrimonial, la majorité des sites protégés n’a pas bénéficié de travaux de recherche ou d’expertise plus récents - preuve a posteriori d’un intérêt limité. Il faut cependant nuancer ce raisonnement, car l’Hôtel de Ville, la Maison natale de J.-B. de la Salle, le Pavillon de Muire, l’Abbaye St-Denis, le Collège des Jésuites, la Place Royale et même la modeste chapelle du cimetière Nord présentent une valeur historique et artistique certaine, et intéressent encore très largement les spécialistes.

    •  Regard actuel

Alors que la ville se réduisait à des ruines en 1918, ces témoins d’un prestigieux passé ont attiré l’attention des guides touristiques. Jusqu’aux Trente Glorieuses, Reims apparaît dotée de ces monuments préservés que l’on trouve cités dans les Guides Verts. Avec le tourisme de masse, surgit une ville « reconstituée » avec sa cathédrale martyre et ses caves visitables32, ses musées et ses monuments restaurés (Beaux-Arts, palais du Tau, Hôtel de Ville, place Royale), puis viennent de nouveaux lieux aménagés (forum, musées Le Vergeur et St-Remi)... L’Epoque Moderne s’impose : le visiteur s’arrête au pied des façades classiques des grands édifices, tout en évitant de regarder la ville reconstruite...

La tendance s’inverse en se rapprochant du XXIe siècle. Ces monuments perdent de l’importance dans les publications, à l’exception d’un guide Hachette33. Cet ouvrage atypique, illustré de gravures anciennes34, ne relate pas la fréquentation touristique : seul le palais du Tau rencontre un réel succès, car il s’inscrit dans une histoire plus ancienne et se trouve présenté comme le complément de la cathédrale. À cette exception près, la plupart des édifices de cette période se rattachent désormais à une pratique touristique déclinante (assimilée à celle attachée aux châteaux et églises d’un premier tourisme), attirant de moins en moins les visiteurs. 

Pour exemple, le site le plus emblématique de cette période, la place Royale, à deux cents mètres de la cathédrale, enregistre moins de 20 commentaires sur Tripadvisor (soit 3 % relativement aux 7 350 pour la cathédrale) ; chiffre que l’on peut comparer aux 250 avis Google (1,5 % / env. 15 000 pour la cathédrale), provenant de visiteurs moins intéressés par la dimension patrimoniale35. Les commentaires portent sur l’aménagement de la place (éclairage, pavage...), sans marquer de sensibilité pour son histoire.

La perception des monuments classiques révèle un contraste avec le million et demi de visiteurs attirés par la cathédrale, et une absence de considération du « grand public » pour cette période, non-dénuée d’intérêt sur un plan historique, artistique et urbanistique (plan d’embellissement Legendre).

Illustr. Maison de champagne Vranken-Pommery (OT), ph. Fred Laures

II. 4) Les patrimoines industriels et les maisons de champagne


    • Contexte historique urbain

L’entrée dans la Révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle (textile) se concrétise tout d’abord par l’implantation des négociants au nord de la cathédrale puis des industriels, remplaçant progressivement les artisans positionnés au sud et à l’est. 

Comme dans la plupart des villes françaises, la destruction des remparts médiévaux au milieu du XIXe siècle permet la création de boulevards extérieurs où s’implantent usines, logements ouvriers, immeubles de rapport, maisons bourgeoises, hôtels particuliers. S’opère au même moment le percement du canal et l’arrivée du chemin de fer. Cette Deuxième Révolution industrielle est marquée par une diversification d’activités : métallurgie, construction, alimentation (succursalisme), et surtout le vin de Champagne et les productions associées (verrerie, tonnellerie, bouchonnerie...) qui supplante rapidement les autres secteurs (qui disparaîtront progressivement au XXe siècle).

Par leur position en périphérie du centre-ville, les patrimoines associés aux débuts de la société industrielle ont été partiellement préservés des bombardements, mais un très grand nombre ont cependant dû être reconstitués après la Grande Guerre, le plus souvent à l’identique, avec une préférence pour le néo-classicisme (et le néo-Louis-XIII dans les bâtiments les plus prestigieux).

A Reims, il faut cependant différencier ces patrimoines, car les industries courantes vont être progressivement abandonnées, contrairement au secteur du champagne, dont les espaces de « production », les sièges sociaux et même les hôtels particuliers des négociants seront conservés. Ils s’affichent et s’intègrent pleinement à l’image de luxe associée à ce produit d’exception. Cette architecture « commerciale » a rapidement été assimilée au patrimoine historique de la ville.

Parallèlement à ces lieux directement liés à la production, d’autres constructions se développent car la ville connaît alors une très forte progression démographique : la population double entre 1850 et 1900 (de ~50.000 à ~100.000 hab.). 

Les faubourgs s’étendent et s’équipent d’églises, écoles, commerces, logements, cités ouvrières... Le centre se dote lui-aussi d’équipements (gare, théâtre, cirque...) et d'espaces commerciaux (grands magasins, succursales, marché couvert). Durant cette période, une stratification sociale s’accentue entre le cœur de ville, avec ses habitats bourgeois, ses grands commerces, ses espaces de loisirs, et les faubourgs (à l’extérieur des boulevards et dans l’ancien bourg Saint-Remi) où se concentrent les logements pour ouvriers ou employés, ainsi que des petits commerces (souvent liés au succursalisme).

    • Sites représentatifs / XIXe siècle

Au sein du patrimoine industriel, les grandes Maisons de champagne attirent rapidement l’attention. En 2018-2019, le choix des « totems » pour la signalétique patrimoniale (cf. IV.3, p.81 : Signalétique) s’est porté sur une cinquantaine de sites afin d’établir un circuit sur le thème « cité du champagne ». Par contre, pour les autres domaines d’activité, leur moindre intérêt architectural a rarement permis la conservation du bâti : seuls les « emplacements » ont pu être précisés dans certains « totems de quartier », en fonction de leur importance historique ; ces patrimoines devenus mémoriels sont ainsi identifiés, notamment les industries ayant durablement marqué la ville (textile, biscuiterie, succursalisme, industrie lourde…). 

La liste des sites répertoriés pour les cartels de quartier permet de constater l’importance quantitative de ce patrimoine (une centaine de sites) qui regroupe à la fois l’industrie courante et celle du champagne, ainsi que tous les bâtiments caractéristiques de cette période à laquelle les habitants sont très attachés, puisqu’ils ont marqué la vie des faubourgs jusqu’au milieu du XXe siècle : ancienne école, célèbre usine, remarquable villa, belle maison d’employé ou élégant immeuble de rapport, cité ouvrière, commerce réputé, et espaces publics (hôpitaux, bains, œuvres sociales, équipements sportifs…). 

Ces lieux font tous l’objet d’un fort attachement mémoriel, mais les seuls édifices remarqués par les institutions, protégés ou cités dans certains guides, sont monumentaux et liés au centre-ville : palais de Justice, théâtre, cirque, manège, lycées, hôtels particuliers ; seule la basilique Sainte-Clotilde se situe hors de ce secteur36.

Concernant les patrimoines non-matériels, la rupture avec les périodes précédentes est nette : la rareté de la documentation avant la Révolution contraste avec l’abondance qui surgit au XIXe siècle. Non seulement la mémoire des usages est encore présente, mais tous les bâtiments peuvent être localisés (cadastre), de même que tous les habitants (recensement) - seule la sensibilité propre à chacun reste très difficilement accessible37.

La mémoire visuelle est facilitée car les images se multiplient avec les gravures puis les photographies qui vont progressivement couvrir tous les quartiers de la ville, anciens ou récents. La presse locale donne également des détails sur la vie quotidienne38 et les grands événements dans la cité. Beaucoup de ces documents sont numérisés et disponibles en ligne, donnant librement accès aux sources39.

    • Etudes et inventaire

Concernant le patrimoine au sens matériel, à l’exception des monuments du centre-ville représentatifs de la « vie bourgeoise » (grands magasins, théâtre, cirque….), seuls les descriptifs associés à deux enquêtes menées par le service régional de l’Inventaire permettent de se renseigner sur les sites industriels. Ils sont accessibles dans un ouvrage de synthèse publié en 200240 à la suite de la première enquête (1988-1996) et dans des fiches numériques accessibles en ligne incluant les ajouts d’une seconde enquête41.

Ce travail a abouti à la rédaction d’une centaine de fiches-sites, soit plus de la moitié des données sur la ville de Reims figurant sur la base du ministère de la Culture (Mérimée) qui intègre comme producteur : l’Inventaire (108), les MH (64), le Label « Patrimoine du XXe siècle » (13), l’État (10), le Label « Jardin remarquable » (2).

Actuellement, sur la centaine de sites industriels repérés dans les années 1990 par l’Inventaire, concernant les lieux de production du XIXe siècle, les statistiques montrent d’importants changements : 45 % ont été détruits, 9% partiellement détruits, 36% seulement ont été conservés. Parallèlement, une association se charge d’étudier, de suivre, voire de défendre ce patrimoine à échelle départementale : l’APIC (Association pour le patrimoine industriel de Champagne-Ardenne) fondée en 1997.

La quasi-totalité des sites préservés se rattachent à l'élaboration, au conditionnement et à la commercialisation des vins de Champagne. Il sont très nombreux au nord du centre-ville et dans le quartier Saint-Nicaise à l’est ; ils longent aussi le grand boulevard au nord-est (Lundy, de la Paix, Pasteur…) qui relie ces deux secteurs. Ce patrimoine atypique a pour avantage d’être particulièrement visible dans le paysage urbain rémois : 

« L’industrie du champagne est un phénomène essentiellement urbain, la plupart des maisons de négoce étant implantées à Reims ou à Épernay, où elles ont édifié des bâtiments à l’architecture commerciale et publicitaire »42.

Seul le bien de Saint-Nicaise, inscrit au Patrimoine mondial depuis 2015, est étudié et géré au plan patrimonial. Signalons qu’aucune médiation - en dehors de la promotion commerciale assurée par les Maisons de champagne - n’avait été faite en direction des publics (par exemple, aucun cartel n’avait été placé devant les sites avant 2019). Cette étrange lacune montre bien l’écart creusé à Reims entre une médiation culturelle « socio-pédagogique » et des pratiques touristiques jugées plus commerciales.

    •  Regard actuel

Concernant le vin de Champagne, les premiers guides touristiques n’évoquent pas les « crayères » bien que des visites soient déjà organisées, comme le montre le faste de certains bâtiments ou les ornements des caves au XIXe siècle. L’accès à ces lieux de prestige reste l’apanage d’une clientèle choisie et internationale, la production étant très limitée et ce vin particulièrement coûteux avant l’extrême fin de ce siècle.

Le changement s’opère à partir des années 1880 et s'accélère à l’issue de la Première Guerre mondiale, alors qu’il n’y a plus un seul monument épargné dans le centre-ville. Tous les édifices, maisons et immeubles, rues et trottoirs forment un seul et vaste chantier ; des commerces s’installent dans des bâtiments provisoires implantés à l’emplacement des Promenades, quelques petites boutiques en bois font face à la cathédrale. Le tourisme issu du conflit se traduit parallèlement par de nouvelles pratiques reposant sur une ré-invention des patrimoines : les visites de caves s’instaurent très nettement, aux côtés de la découverte des champs de bataille et des villes détruites (associée à des parcours de deuil). C’est également dans cette immédiate après-guerre que la cathédrale positionne sa valeur esthétique (invention d’une école de Reims dans l’art Gothique, sublimation de l’Ange au sourire43) plus qu’historique (sacre). 

Illustr. Maison de champagne Ruinart (OT)

Dans la suite de l’élan pro-français des pays alliés, le centre-ville de Reims attire dès les années 1920 de nombreux visiteurs. Les Maisons de champagne s’ouvrent, se transforment progressivement en « sites touristiques » et deviennent ainsi un exceptionnel faire-valoir pour la société industrielle.

Ce succès n’est plus partagé par les sites monumentaux du XIXe siècle, qui apparaissent désormais marginalisés, et s’assimilent aux « Monuments classiques » (cf. II.3, p.37).

Mais le plus malmené, le moins étudié, le seul patrimoine XIXe qui n’est pas regardé, est l’architecture jugée plus banale qui accompagne les sites de production dans l’expansion des faubourgs ouvriers. Ce sont pourtant ces éléments qui structurent les quartiers et s’associent à la mémoire locale revendiquée par ceux qui y résident. 

À défaut de trouver une réponse, les habitants se chargent eux-mêmes de l’expertise et publient des ouvrages qui permettent de mieux comprendre ces lieux de vie44. Malheureusement, ce type d’action ne garantit en rien la reconnaissance ou la protection de ces biens mémoriels et autres « petits patrimoines ».

Illustr. Intérieur de l’Opéra (OT), ph. Carmen Moya 

II. 5) L'art déco dans la première reconstruction


    • Contexte historique urbain

Si la position proche des frontières a pu être favorable à la ville de Reims de l’Antiquité jusqu’à la Révolution industrielle, la situation va se renverser. Ville de garnisons à la fin du XIXe siècle, elle devient une position-clef en 1914. La situation s’avère dramatique quand la ville est prise en étau dans la première « Bataille de Champagne » : les forts extérieurs, occupés par les troupes allemandes, sont utilisés pour bombarder la ville jusqu’en 191845.

La ville est considérée détruite à 80% (centre-ville), chiffre tiré d’un ouvrage de référence46, simplifié par la propagande, qu’il convient de corriger autour de 55 %47. Au-delà de cette « bataille des chiffres », Reims est radicalement transformée par la Reconstruction. Elle suit un projet (porté par George Burdett Ford) que l’on peut considérer comme le premier plan d’urbanisme piloté à une échelle nationale48, annonciateur des politiques urbaines d’Etat qui vont s'imposer au milieu du XXe siècle49.

Le « plan Ford » s’accompagne d’une grande amélioration de la ville populaire qui se positionne sur de nouveaux terrains, marquant la naissance d’une périphérie urbaine où s’implantent cités-jardins et squares au milieu d’espaces industriels et agricoles. 

    • Sites représentatifs / Première moitié du XXe siècle

Seule ville atteignant 100.000 habitants détruite durant la Première Guerre mondiale, la Reconstruction de Reims présente de facto un intérêt pour l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture. Longtemps incomprise, la « reconstitution » du centre-ville et l’édification des cités-jardins illustrent parfaitement la pensée urbaine des années 1910, au-delà de certains choix particuliers consistant surtout à respecter les tracés historiques des rues en centre-ville, à l’exception d’axes urbains transversaux et de nouveaux passages couverts. 

Réalisée principalement entre 1920 et 1925, l’architecture de la Reconstruction s’exprime dans une diversité exceptionnelle de styles que l’on peut interpréter comme le prolongement d’un éclectisme architectural en vigueur depuis le XIXe siècle. La place de la modernité se limite aux techniques constructives (béton armé, préfabrication, industrialisation), aux intérieurs (répartition des espaces, confort moderne) et à quelques grands chantiers tardifs (rattachés à un usage technique).

Quant aux matériaux et ornements, ils annoncent l’arrivée du style 1925 dit « Art déco ». Les cités-jardins font exception en s’affirmant comme un espace intermédiaire entre campagne et ville, adoptant différents styles régionalistes, souvent mélangés.

Le grand nombre d’édifices de la première moitié du XXe siècle à Reims rend difficile l’établissement d’une liste exhaustive. Ce travail a pourtant été réalisé dans les années 1980 par Olivier Rigaud50 qui a indexé près de 300 sites incluant 70 notices, adont huit très détaillés : bibliothèque Carnegie, église St-Nicaise, American Memorial Hospital, Hôtel de Ville, Docks Rémois, Le Petit Paris, cinéma Opéra, intérieur du théâtre.

Seuls les bâtiments les plus modernistes ont jusqu’ici attiré l’attention des historiens de l’architecture, mais ils ne relatent pas la particularité de la Reconstruction, remarquable en tant que paysage urbain : non seulement dans le centre-ville (place d’Erlon, Cours Langlet, alentours de la cathédrale, rue de Vesle, etc.), mais aussi dans les cités-jardins avec leurs équipements collectifs et leurs espaces végétalisés.

    • Etudes et inventaires

À l’inverse du patrimoine industriel qui a pu bénéficier de plusieurs recensements, l’étude de la Première Reconstruction a débuté par des opérations de médiation suivant des initiatives locales, et se prolonge dans des travaux de recherche ou d’érudition réalisés uniquement par des Rémois51. Peu d’éléments ont été protégés au titre des Monuments Historiques, exceptés les édifices les plus luxueux ou les plus modernistes (cf. III.1, p.62-63 : MH). Mais les ensembles représentatifs de cette période, dont « les modèles architecturaux sont ceux d'un “ Art déco ” revu par l'éclectisme »52, restent non-protégés.

Le label « Architecture Contemporaine Remarquable » (cf. III.1, p. 63), par son amplitude temporelle, aurait pu servir à valoriser l’ensemble exceptionnel de la Reconstruction rémoise. Cependant, les experts ont dû se limiter pour cette période à deux cités-jardins (Maison-Blanche et Chemin-Vert) et trois maisons atypiques, que l’on peut qualifier de pittoresques. Hormis les cités-jardins, ces opérations restent bien peu représentatives de la Première Reconstruction à Reims.

Cette lacune en termes d’analyse et de protection va être compensée par le classement en « Site Patrimonial Remarquable »53 qui s’accompagnera d’une étude exhaustive portant sur le centre-ville reconstruit (cf. III.5, p.69 : SPR).

    • Regard actuel

Le décalage constaté entre la médiation, l’inventaire et la protection révèle a posteriori la réception durablement négative de la Première Reconstruction, qui n’a jamais bénéficié d’un regard expert à échelle nationale54 ou internationale. Elle a au contraire été l’objet de nombreux dénigrements, dès les années 1920, à la fois par les régionalistes55 et par les modernes, y compris Le Corbusier56, avant de devenir un symbole du mauvais goût durant les Trente Glorieuses, jusque dans des guides touristiques reconnus57. Ces affirmations cesseront lorsque les Grands-Ensembles deviendront la cible de vives critiques.

Des travaux d’érudition révèlent cette architecture dans les années 1980, alors que le style « Art déco » revient au goût du jour grâce au développement de l’architecture postmoderne. La ville de Reims accueille des édifices néo-Art-Déco inspirés d’une tendance qui se développe alors dans les villes de loisirs. La tenue d’un colloque porté par la Ville de Reims et intitulé « La Reconstruction 1920-1930 » (du 3 au 5 novembre 1988), sous la direction de Marc Bedarida et de Maurice Vaïsse, marque un tournant dans la réception de cette architecture. Cette valorisation précoce se prolonge, notamment dans un évènementiel intégrant une exposition au musée des Beaux-Arts, en 2006, « Années folles, années d'ordre, l'Art déco de Reims à New York »58.

Malgré cela, l’architecture dite Art déco de Reims connaît un succès mitigé. La place d’Erlon est certes le troisième « site touristique » sur Tripadvisor (après la cathédrale et la basilique), mais les commentaires portent exclusivement sur sa dimension commerciale : « place du centre-ville de Reims entourée de commerces et de restaurants, aussi agréable en journée qu'en soirée. Incontournable si vous êtes de passage à Reims », selon un avis représentatif publié en août 2020… Deux sur les vingt derniers en date évoquent le patrimoine : l’un pour l’Art déco, l’autre pour signaler l’église Saint-Jacques à proximité... 

Le point de vue des experts a évolué et l’intérêt pour la Première Reconstruction s’accroît, mais les publics restent peu réceptifs. De plus, malgré cette nouvelle sensibilité, certains secteurs n’ont pas été épargnés par les opérations immobilières (rue de Vesle, Buirette, alentours cathédrale) aboutissant au mitage du paysage urbain.

Illustr. « Amphithéâtre des Facultés de Lettres et de Droit », Croix-Rouge (Carte postale La Cigogne), 1975,

ensemble labellisé « Architecture contemporaine remarquable ».

II. 6) Les architectures modernes et contemporaines


    • Contexte historique urbain

Le quasi-doublement de la population rémoise dans la seconde moitié du XXe siècle provoque une extension sans précédent de la ville. Si quelques réalisations inspirées du mouvement Moderne apparaissent dès la fin des années 1920, la majorité des constructions « modernes radicales » se multiplient au temps des grands ensembles, marqué à Reims par les plans urbains de Camelot (décennie 1950) puis de Rotival (ZUP, décennie 1960). Ces projets sont interrompus dans les années 1970 alors que l’industrie entre en crise. La domination du secteur Tertiaire va réorienter les constructions neuves vers des bureaux (centre-ville et abords des zones industrielles) et des logements dits « qualitatifs » (petits collectifs et pavillons) qui se multiplient tout d’abord au pied des grands ensembles, puis dans des ZAC. Bien que la démographie ralentisse dès ce moment, la dé-densification des périphéries accentue l’étalement urbain avec la formation d’une ultime couronne où s’imposent les centres commerciaux (autour des principaux axes d’entrée de ville), et des cités pavillonnaires (situées plus en retrait).

Ces opérations s’inscrivent dans la couronne périphérique entre les cités-jardins et au-delà de cette limite, formant des quartiers neufs (Wilson, puis ZUP d’Orgeval, Croix-Rouge, Europe, Châtillons, puis ZAC de Murigny, La Neuvillette...). Plus rarement, ces ensembles investissent des vides ménagés près du centre (Fléchambault, Hincmar) ou situés aux abords des grands boulevards (Clemenceau) et du canal (Vieux Port).

    • Sites représentatifs / seconde moitié XXe siècle

Parmi ces nombreuses opérations, des distinctions s’opèrent rapidement. Un grand nombre de logements industrialisés identiques s’implantent sur l’ensemble du territoire français ; toutefois, certains grands ensembles présentent des qualités paysagères remarquables (Europe) ou s’affirment comme des références ancrées dans des expériences tardives du mouvement Moderne (Team-X à Châtillons). 

Certaines opérations s’inscrivent pleinement dans des mouvements architecturaux plus ou moins reconnaissables : début du mouvement moderne vers 1930 (Poste, Boulingrin, deux maisons cubistes, un immeuble de logements), modernisme tempéré des années 1930 (villa Douce, relais PTT Wilson…), rationalisme industriel 1950-1960 (premiers grands ensembles, Université des Sciences, lycée Clémenceau), « brutalisme » des années 1960 (La Comédie, Le Ruban Bleu, château d’eau de Croix-Rouge), architecture-concept des années 1970-1980 (cités de Murigny) ou de performance technique (université des lettres, cour d’appel), postmodernisme à la fin des années 1980 (immeubles néo-Art-déco du centre ville), et quelques créations des années 1990 assimilables à des architectures-objets (le « bateau » du centre des Congrès, le « violon » du conservatoire) ou du High-Tech (immeuble dit « Goldorak »)…

Il devient toutefois difficile d’inscrire ces ouvrages dans des catégories strictes, les « styles » reflétant moins une tendance que l’individualité de l’architecte. Celui-ci intervient comme une « signature » certifiant la singularité de son œuvre. On peut ainsi remarquer quelques noms célèbres à Reims : reconnus nationalement (Camelot, Lods, Depondt, Le Couteur, Chemetov, Parent, Viguier, Lion, Girard (Olivier) et Israël…) et/ou appréciés localement (Roubert (J.-Loup), Thiénot, Goldstein, Dubard de Gaillarbois, Debrix, Fouqueray, Jacquet, Pace…). La majorité des immeubles « signés » figurent dans les cartels de quartiers ou dans le circuit « Architecture contemporaine »59.

    • Etudes et inventaires

Le cas particulier des halles du Boulingrin a provoqué une levée de boucliers sur la question du patrimoine moderne à Reims, suite à un projet de destruction ayant conduit à son classement aux Monuments Historiques (1990). Plusieurs bâtiments de cette période bénéficient par la suite du label « Architecture Contemporaine Remarquable » (anciennement « Patrimoine du XXe siècle », cf. III.1, p.63). Mais il est difficile de saisir au sein d’une même appellation des éléments pré-modernes (Reconstruction) ou « avant-gardistes », ceux d’un modernisme tempéré ou radical, ou encore des créations plus récentes montrant une diversité presque sans limite...

Le label s’est cependant avéré valorisant pour des ouvrages « avant-gardistes », bien qu’ils figurent des exceptions dans le paysage de l’Entre-deux-Guerres à Reims (halles de la gare, maison cubiste rue de Tournelles). Mais il n’a pas permis la sauvegarde de l’église St-Jean-Marie-Vianney, à Wilson. Ce quartier représentatif du rationalisme le plus radical des années 1950-1960 symbolisait une inadaptation à la vie contemporaine. Il a été entièrement reconstruit dans les années 2000, dans le cadre du renouvellement urbain.

Si les premiers édifices du mouvement Moderne sont appréciés en tant qu’exceptions, l’architecture industrielle qui en découle est surtout associée à des problèmes sociaux : s’y applique soit une requalification brutale, soit une destruction, y compris (faute de connaissances ou de moyens) pour des édifices d’une certaine qualité architecturale. Pour ces logements populaires (comme pour ceux du XIXe siècle), la « valorisation » se limite à un travail de mémoire, à l’initiative des habitants ou des maisons de quartier, souvent réalisé au moment de la destruction du bien matériel.

La valorisation patrimoniale, pour cette période, se cantonne aux grandes commandes collectives auxquelles répondent des architectes reconnus : le plus souvent, des espaces culturels comme la Maison de la Culture et les universités, ou les églises...

    •  Regard actuel

Concernant l’architecture de la seconde moitié du XXe siècle, les édifices rémois ne figurent pas dans les ouvrages de référence60. Les architectes renommés sont presque absents, les plus créatifs sont discrets61 et nombre de gestes architecturaux visibles se réfèrent à des œuvres beaucoup plus célèbres : le conservatoire évoque la Cité de la Musique (Portzamparc, 1985), l’Hôtel de Police s’assimile à La Cour d’Angle (Ciriani, 1982), la cour d’appel apparaît après l’Hôtel de Ville de la Baule (Planchais, 1978), etc. 

Le point de vue des sites en ligne sur l’architecture62 est moins sélectif, ils signalent un grand nombre d’édifices, mais aucun n’apparaît dans les guides-papiers.

Cependant, la diffusion des dépliants « circuits thématiques » en 2020, a montré que le parcours « architecture contemporaine » connaît un réel succès et s’avère presque autant demandé que celui du « champagne », non loin des thèmes majeurs « Art déco » et « sacres » (cf. IV.3, p.82 : Signalétique).

Le désaccord avec l’architecture contemporaine est surtout la conséquence d’une absence de mise en débat ou de médiation. L’architecture officielle a progressivement perdu sa position d’autorité, sa légitimité : c’est ainsi qu’un premier scandale international entoure un projet de cour d’appel de Jean-Louis Véret sur le parvis de la cathédrale (1975)63. Une habitante64 fonde à cette occasion l’association « SOS Reims Urbanisme et Nature ». Le projet est annulé. L’association contribue par la suite à la sauvegarde du quartier Hincmar, de l’hôtel Godbert, du manège et du cirque, etc. 

Malgré la complexité de cette période, le constat est assez simple, partiellement produit par un manque de médiation : l’architecture moderne et contemporaine rémoise est un potentiel qui n’a jusqu’ici séduit ni les touristes, ni les spécialistes…Une médiation doit se mettre en place pour ouvrir un dialogue, car Il faut parallèlement souligner une désapprobation grandissante dans la presse locale lorsque des édifices sont construits dans des quartiers anciens (cf. § suivant, p.55-58).

Médiathèque Jean-Falala (Jean-Paul Viguier arch.) inscrite aux côtés de l’ancien Hôtel de Police de Jean Walter datant de 1923, positionnée face à la cathédrale, photographie de l’agence Viguier, 2002

II. 7) Projets et enjeux patrimoniaux au XXIe siècle


    • Contexte historique urbain

Si la population est à peu près constante depuis l’an 2000 (~185.000 hab.), la ville renouvelle de plus en plus rapidement son urbanisme et continue de s’étendre. Les opérations les plus importantes menées ces dix dernières années s’associent à l’arrivée de la LGV Est-Européenne, sur la commune limitrophe de Bezannes  : 

    • nouvelle gare « Champagne-Ardenne TGV » (2007), 

    • création d’un quartier d’affaires près de la gare TGV (2008~2020).

L’impact sur la commune de Reims est important, suite à des opérations conséquentes :

    • remplacement de l’autoroute urbaine par le contournement sud (A4, 2010),

    • construction d’une ligne de Tramway menant à la gare TGV (2008-2011),

    • création d’un quartier d’affaires près de la gare, à Clairmarais (2008~2020).

Plus largement, la tertiarisation de l’économie s’accélère dans toute la ville. Suivant un phénomène amorcé dans les années 1990, les friches industrielles (à l’emplacement des zones de production dans les anciens faubourgs ouvriers) laissent place à de vastes opérations immobilières, denses et mixtes, mêlant bureaux, logements et commerces. En se rapprochant du centre-ville, ces constructions se substituent à des bâtiments industriels isolés (grands boulevards, canal), ou aux maisons et immeubles anciens dans les quartiers les plus prisés (Cathédrale, Barbâtre, Jaurès). De nombreux projets intègrent des éléments d’origine  : inscription dans les anciens volumes (médiathèque, Cercle nautique, Comptoirs français, Docks Rémois), façades conservées (rues de Vesle et de Buirette), mise en scène d’éléments isolés (base de cheminée d’usine, rue Jan-Palach).

Dans la deuxième couronne périphérique (ex-ZUP), la rénovation des grands ensembles s’est accélérée après la création de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en 2003 : ce programme national encourage à recréer de nombreux espaces urbains par destruction, requalification et constructions neuves de moindre hauteur.

Enfin, dans la troisième couronne, les ZAC continuent de s’étendre : l’une à l’ouest de Reims, sur la commune de Thillois, accompagnant l’arrivée d’Ikea (Millésime, 2010) ; l’autre à l’est, dans le prolongement du contournement autouroutier sud, à la limite de la commune de St-Léonard (Croix Blandin). Par manque d’espace disponible, les constructions pavillonnaires s’établissent désormais dans les villages alentours. Il devient impossible de séparer ville et agglomération, puisque les grandes opérations urbaines (et les habitants eux-mêmes) se déplacent bien au-delà des limites de la commune.

    • Sites représentatifs / XXIe siècle

Sur le plan qualitatif, malgré une diversité formelle qui séduit les professionnels65,66, et des créations que l’on peut qualifier de singulières ou d'architectures-événements, rares sont les bâtiments contemporains ayant un intérêt immédiatement identifiable. Le centre aqualudique implantée sur la friche SNCF-Sernam en centre-ville est probablement l’une des opérations les plus représentatives (architecture-objet évoquant un drapé, un coquillage). Un immeuble s’est également distingué par sa façade liée à l’application de normes environnementales (architecture bioclimatique primée, secteur du Vieux-Port).

Sur le critère de l’unité paysagère, il est possible de cibler les plus vastes opérations qui forment des ensembles cohérents (Clairmarais, Bezannes). Il s’avère ensuite plus difficile d’établir une hiérarchie parmi les nombreuses créations de ces vingt dernières années, à défaut de signature identifiable, ou de récompense (équerre d’argent), même si quelques-unes se remarquent. Par exemple, à Clairmarais, Reichen & Robert réalisent l’opération « Durocortorum » (2016), et l’agence Nicolas Michelin a dessiné les bureaux Sofilo (2014) ; ces projets s’affirment d’emblée par l’originalité des couleurs en façade.

Il est enfin possible d’établir une différenciation en fonction des maîtres d’ouvrage dont les objectifs sont qualitativement différents : commandes publiques, entreprises désirant un bâtiment remarquable (architecture promotionnelle), et promoteurs privés ayant des objectifs budgétaires et commerciaux plus immédiats... 

Concernant ce dernier point, les constructions les plus récentes continuent de soulever régulièrement des débats. Toutefois, comme l’atteste le coût des « logements neufs », les « résidences » des grands promoteurs s’avèrent à la fois attractives, pour leur confort, et répulsives car elles sont souvent perçues comme des transgressions esthétiques dans les quartiers anciens. La désapprobation atteint son comble lorsqu’un nouvel immeuble s’impose à la place d’un bâtiment représentatif de l’architecture rémoise67, même si le promoteur présente son ouvrage comme respectueux ou qualitatif, faisant parfois l’effort d’intégrer un « élément » du bâtiment détruit (rue des Elus).

L’origine de ces destructions est le problème du confort dans l’ancien (isolations thermique et phonique), c’est à dire des coûts induits par la mise aux normes lorsqu’il y a conservation du bâtiment et réhabilitation qualitative. L’initiative pour ce genre de travaux se limite donc principalement aux petits bailleurs et propriétaires-résidents.

Illustr. Complexe aqualudique de Reims, en cours de construction sur la friche SNCF-Sernam

(Marc Mimram arch.), images numériques du projet par l’agence Mimram, 2019

    • Etudes et inventaires

Comment conjuguer le patrimoine hérité et la création ? Ou, dans une logique inverse, quelle place accorder à la patrimonialisation de l’art et de l’architecture du XXIe siècle ? Pour quel usage, quelle norme ? La question se pose pour un ouvrage, une œuvre, un événement, une performance, mais elle concerne en premier lieu la ville dans son ensemble. Le lien entre prospective et patrimoine préoccupe la municipalité depuis trente ans. En 1990, autour d’Yves Dauge68, les acteurs du district annoncent la signature d’une charte de développement « Reims, le sacre du futur », un marketing urbain impliquant l’Agence d’urbanisme et des groupes de travail visant à utiliser le tourisme comme levier d’actions69. Pour autant, le seul exemple concrétisé - la re-dynamisation de l’axe formant la « voie des sacres » - s’est jusqu’ici avéré peu concluant et interroge la possibilité d’inscrire des créations contemporaines sans rendre la perception du lieu inintelligible.

Le coeur de la problématique réside dans l’étude de la relation entre l’usage contemporain (au sens des loisirs et du tourisme) et le patrimoine (cadre de vie, d’identité patrimoniale). Comme l’ont montré les recherches de Maria Gravari-Barbas70, l’obtention du titre Unesco peut créer des déséquilibres. S’ajoutent les risques de chosification, l’inflation des prix dans l’immobilier, les problèmes associés à une surfréquentation... 

Toutefois, une nouvelle dimension apparaît dans ce qui peut être considéré comme un étalement à échelle mégarégionale71. Si les chiffres continuent de s’accroître (dépassant largement le tourisme dit « de masse » des Trente Glorieuses), les visiteurs veulent une offre diversifiée, alliée à une qualité, un luxe, une authenticité, une différence, voire une expérience dans le respect culturel et environnemental du lieu. La gestion de ce paradoxe n’est pas sans lien avec la création du label Ville d’art et d’histoire, dès ses origines...

Si les constructions des vingt dernières années suscitent l’intérêt des professionnels ou la désapprobation des riverains (sur les réseaux sociaux), la position de cette architecture, et plus généralement des opérations touchant au design urbain dans le contexte d’un paysage patrimonialisé doit interroger plus largement, car la ville contemporaine frôle deux excès contraires : fixité muséale et innovation perpétuelle.

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