![]() |
Gravure de 1763 publiée par Dom. Dieudonné, rééditée dans l'article de Pol Gosset pour l'Académie de Reims en 1911 |
Tout ceci s'inscrit dans « une tradition de plus de quatre siècles, durant lesquels les gisements fossilifères de la Côte de l’Île-de-France ont servi d’ "eschole de philosophie" aux curieux » (Godard, 2014). Cette tradition s'ouvre en 1580 avec le texte de Bernard Palissy qui s'intéresse à un site nommé "Venteul", soit Venteuil, soit Nanteuil, tous deux se rattachant aux gisements de fossiles lutétiens de la Montagne de Reims. L'abondance évidente des "coquillages" à cet endroit, affleurant dans les ravines au milieu des vignes et dans les petites carrières où l'on extrait du sable pour la construction, questionne sur ce mystérieux passé de la Terre avant le Déluge : pour Palissy, ils se déposent dans des petites mares ; pour Vignier, ils ont été apportés par la vague du Déluge qui a déposé une péllicule de sable à cet endroit ; pour Pereisc, c'est l'enfoncement du sol avec une innondation par les eaux de mer qui explique leur présence ; enfin, pour Madame de Courtagnon, l'idée d'accumulation stratigraphiques commençait à être admise mais un poème montre que les savants locaux en restent encore à la bonne vieille hypothèse du Déluge.
VIGNIER Jacques, "Discours sur les coquilles de mer qu'on trouve en terre ferme", 1635. In Recueil contenant des dissertations d'Histoire Naturelle, 1600-1700, pp.43-50. URL: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100340217Pour ce document épistolaire, la mention de l'ouvrage des Antiquitez de Reims de Bergier donne l'année 1635 et une seconde copie de cette lettre précise qu'elle est du père Jacques Vignier, de la Compagnie de Jésus. Ce manuscrit a été transcrit sous forme dactylographiée dans l'article suivant (avec la réponse donnée à cette lettre par Pereisc) :
GODARD Gaston. "Le Discours sur les coquilles de mer qu’on trouve en terre ferme, particulièrement en Champagne, adressé par le jésuite Jacques Vignier à Peiresc en 1635 : entre Déluge et “ inondation ” de la mer." Travaux du Comité français d’Histoire de la Géologie, 2014, 3ème série (28, 8), pp.157-173. URL: https://hal.science/hal-04019607/document
L'histoire se prolonge. Premier témoin, l'encyclopédiste Dezallier d'Argenville décrit en 1742 un cabinet de curiosité rémois "La collection de M. l'Abbé Favart, Archidiacre de l'Eglise de Reims, outre les bons Livres, les belles Estampes, les Tableaux & une suite de Médailles Impériales de grand Bronze des mieux conservés, est considérable dans la partie de l'Histoire Naturelle. [...] Les Pierres d'Aiman, & les Fossiles étrangers & du païs n'y font pas oubliés, ceux du païs se trouvent la plupart dans les bancs de Craye des carriéres situées aux portes de Reims, & dans le coteau du village de Comtagnion à quatre lieuës de cette Ville.
DEZALLIER D'ARGENVILLE, Antoine-Joseph L'histoire naturelle éclaircie dans deux de ses parties principales, la lithologie et la conchyliologie, dont l'une traite des pierres et l'autre des coquillages, A Paris, chez De Bure l'aîné, 1742. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8623259b, pp.213-214
Nous sommes allés à Carnégie consulter l'article de Jean-Claude Piazat sur Marie-Catherine Lagoille de Courtagnon, née Lefranc, veuve du seigneur de Courtagnon, "qui est peut-être la Rémoise la plus remarquable de tout le XVIIIe siècle" comme l'affirmait Pol Gosset dans un article de l'Académie de Reims en 1911. Avec une manière de vivre rémoise, le Seigneur de Courtagnon possédait un hôtel particulier dans la ville, où il venaient à la mauvaise saison avant de repartir dans son fief durant les beaux jours. Autre tradition locale, Madame de Courtagnon devient veuve en 1741 et acquiert le "titre" de douairière du domaine de Courtagnon. Pendant cinquant ans, elle enrichit une collection de fossiles qu'aurait débuté son mari, sans doute celui qui avait fourni les fossiles cités par Dezallier d'Argenville. Ancienne élève et amie de Bernard de Jussieu, elle fait des échanges, reçoit beaucoup et ouvre à la visite la carrière soutéraine derrière la propriété où les coquillages luisent sous les torches pendant la visite. Cette profondeur des couches coquillières prouvent l'inexactitude de l'hypothèse de la lentille de sable déposée pendant le Déluge.
Pourtant, en 1763, l'hypothèse revient sous la plume pontifiante du moine Dom. Dieudonné de l'abbaye d'Hauvillers (rendue célèbre par Dom. Pérignon). Lui y voit au contraire la preuve incontestable du Déluge : « Coquilles paroisses. Parlés par vos figures ; Prouvés le grand Déluge à nos races futures. Que vos tas de débris, votre déplacement. Avec vos traits marins, soient tout votre argument Que j'aime à contempler cette nombreuse suite, Constante dans ses plans, & toujours produite ! Étrangère à la Terre, elle peuple les Eaux D'où vient le Coquillage avec ses Vermisseaux. » Derrière un style curieux, le propos est sans ambiguité. Ce poème annonce un ouvrage sur les fossiles de la Montagne de Reims et sur le cabinet de Courtagnon, mais il ne semble pas avoir été publié...
Par contre, les fossiles de COurtagnon vont circuler et les possesseurs de certains exemplaires provenant de de sa collections seront de grands précurseurs comme Carl von Linnée, Samuel Gottlieb Gmelin, Alcide d'Orbigny, Jean-Baptiste Lamarck, Cuvier, Brongniart, etc.
PLAZIAT Jean-Claude & GUÉRIN Hubert, 2011. "Le Lutétien de la Montagne de Reims, du XVIIIe siècle (Courtagnon) à nos jours (Fleuryla-Rivière) : un apport essentiel à la connaissance des fossiles de l’Éocène et un espoir de renouveau". Bulletin d’Information des Géologues du Bassin de Paris, 48/4, pp. 3-15. REF : BMR : Carnegie fonds local RBG 1115
GOSSET Pol, "La famille Lagoille de Courtagnon", Annuaire-bulletin de la Société des amis du vieux Reims, Reims, Matot-Braine, 1911. URL https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5726284g, p59-70
DIEUDONNÉ, Dom., Le cabinet de Courtagnon , poëme... avec un discours préliminaire sur l'histoire naturelle des fossiles de Champagne, Châlons, chez Seneuze, 1763, URL https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5427122m
Voir suite : Géologie // gangues rustiques et rustiques figulines
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire