jeudi 25 mai 2023

Courtagnon // Bibliographie sur Madame de Courtagnon

Gravure de 1763 publiée par Dom. Dieudonné, rééditée dans l'article de Pol Gosset pour l'Académie de Reims en 1911

Tout ceci s'inscrit dans « une tradition de plus de quatre siècles, durant lesquels les gisements fossilifères de la Côte de l’Île-de-France ont servi d’ "eschole de philosophie" aux curieux » (Godard, 2014). Cette tradition s'ouvre en 1580 avec le texte de Bernard Palissy qui s'intéresse à un site nommé "Venteul", soit Venteuil, soit Nanteuil, tous deux se rattachant aux gisements de fossiles lutétiens de la Montagne de Reims. L'abondance évidente des "coquillages" à cet endroit, affleurant dans les ravines au milieu des vignes et dans les petites carrières où l'on extrait du sable pour la construction, questionne sur ce mystérieux passé de la Terre avant le Déluge : pour Palissy, ils se déposent dans des petites mares ; pour Vignier, ils ont été apportés par la vague du Déluge qui a déposé une péllicule de sable à cet endroit ; pour Pereisc, c'est l'enfoncement du sol avec une innondation par les eaux de mer qui explique leur présence ; enfin, pour Madame de Courtagnon, l'idée d'accumulation stratigraphiques commençait à être admise mais un poème montre que les savants locaux en restent encore à la bonne vieille hypothèse du Déluge.

C-après, les détails du récit et les références bibliographiques...

La question de ces coquilles commence à se poser sérieusement dès 1635 chez le père Jacques Vignier, né à Bar-sur-Seine, devenu jésuite à Nancy, qui séjourne à Reims pour effectuer des recherches sur Saint-Thierry en 1632. Il semble découvrir ces raretés dans les vignes sur les hauteurs de Sermier, près du château de Cossons (actuel restaurant "Le Lys du Roi"). Il projette possiblement un livre sur ce sujet et adresse un long courrier à Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, personalité que wikipédia résume ainsi : « connu notamment pour avoir été l'avocat de Galilée, ami proche de Rubens, conseiller en art auprès de Marie de Médicis, précurseur de l'égyptologie, et avoir entrepris de dresser la première carte de la Lune fondée sur des observations télescopiques. Il était le prince de la République des Lettres. » Il manque dans ce portrait le rôle qui nous intéresse, celui de "précurseur" de la géologie, puisqu'il annonce dans sa réponse à Vignier le principe de la subsidence...

Sa description du site est très intéressante : « A deux bones lieües de la ville de Rheims en Champagne il y a un chasteau nommé le Causson8 , appartenant au Baron du Tour9 avec le village d'aupres. Ce chasteau est basty partie de pierres, partie de carreaux faits de sable liéz avec de la chaux, et jettéz en moule, a la mode du pays. Ce sable qui luy a servy a esté tiré d'un endroit de la montagne voisine qui est fort sec, entre des vignes assez bones, comme celles de toute la coste qu'on apelle la coste de Rheims. Cet endroit, depuis le temps que ce chasteau a esté basty, est devenu une eschole de philosophie ou un amphitheatre a voir battre des esprits curieux ; lesquels s'y font portéz souvent, pour y voir et pour y admirer, ou les restes d'un deluge universel ou les jeux et fantaisies d'une terre industrieuse, et d'une nature qui se delasse, ou les ouvrages de quelques animaux, dont on ne sçait le nom, et dont l'espece est perdue. Ce sont certaines coquilles faittes de mesme façon que celles de la mer, que l'on y rencontre parmy le sable en si grande abondance, pour ce qui est des petites, qu'on croiroit qu'on les y a semées a plaisir. Il s'y en trouve de moyennes, c'est a dire de la grosseur de trois ou quatre doigts, en fort grand nombre, et d'autres encor qui passent la longueur et la grosseur du bras d'un homme, faittes en piramides, marquees et comme armees de poinctes et de noeuds au dehors, lices et polies mais remplies de sable au dedans. Pour ce qui est des grosses et des moyennes, il ne s'y en voit point que de pyramidales. Quand aux petites, elles se raportent toutes a quatre sortes de figures et d'especes. La 1re est des pyramidales. La 2e de celles qui sont comme en cul de lampe, dont il s'en trouve d'assez grosses. La 3e est de celles qui sont pareilles a nos coquilles de limaçons. La 4e est comme celle des ouistres ou des nacres, les unes lices et polies tant dedans que dehors ; les autres rayées de lignes au dehors et cannellées, comme celles que nous apellons par deça Coquilles de St Michel. »

VIGNIER Jacques, "Discours sur les coquilles de mer qu'on trouve en terre ferme", 1635. In Recueil contenant des dissertations d'Histoire Naturelle, 1600-1700, pp.43-50. URL: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100340217

Pour ce document épistolaire, la mention de l'ouvrage des Antiquitez de Reims de Bergier donne l'année 1635 et une seconde copie de cette lettre précise qu'elle est du père Jacques Vignier, de la Compagnie de Jésus. Ce manuscrit a été transcrit sous forme dactylographiée dans l'article suivant (avec la réponse donnée à cette lettre par Pereisc) :

GODARD Gaston. "Le Discours sur les coquilles de mer qu’on trouve en terre ferme, particulièrement en Champagne, adressé par le jésuite Jacques Vignier à Peiresc en 1635 : entre Déluge et “ inondation ” de la mer." Travaux du Comité français d’Histoire de la Géologie, 2014, 3ème série (28, 8), pp.157-173. URL: https://hal.science/hal-04019607/document


L'histoire se prolonge. Premier témoin, l'encyclopédiste Dezallier d'Argenville décrit en 1742 un cabinet de curiosité rémois "La collection de M. l'Abbé Favart, Archidiacre de l'Eglise de Reims, outre les bons Livres, les belles Estampes, les Tableaux & une suite de Médailles Impériales de grand Bronze des mieux conservés, est considérable dans la partie de l'Histoire Naturelle. [...] Les Pierres d'Aiman, & les Fossiles étrangers & du païs n'y font pas oubliés, ceux du païs se trouvent la plupart dans les bancs de Craye des carriéres situées aux portes de Reims, & dans le coteau du village de Comtagnion à quatre lieuës de cette Ville.

DEZALLIER D'ARGENVILLE, Antoine-Joseph L'histoire naturelle éclaircie dans deux de ses parties principales, la lithologie et la conchyliologie, dont l'une traite des pierres et l'autre des coquillages, A Paris, chez De Bure l'aîné, 1742. URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8623259b, pp.213-214

 

Nous sommes allés à Carnégie consulter l'article de Jean-Claude Piazat sur Marie-Catherine Lagoille de Courtagnon, née Lefranc, veuve du seigneur de Courtagnon, "qui est peut-être la Rémoise la plus remarquable de tout le XVIIIe siècle" comme l'affirmait Pol Gosset dans un article de l'Académie de Reims en 1911. Avec une manière de vivre rémoise, le Seigneur de Courtagnon possédait un hôtel particulier dans la ville, où il venaient à la mauvaise saison avant de repartir dans son fief durant les beaux jours. Autre tradition locale, Madame de Courtagnon devient veuve en 1741 et acquiert le "titre" de douairière du domaine de Courtagnon. Pendant cinquant ans, elle enrichit une collection de fossiles qu'aurait débuté son mari, sans doute celui qui avait fourni les fossiles cités par Dezallier d'Argenville. Ancienne élève et amie de Bernard de Jussieu, elle fait des échanges, reçoit beaucoup et ouvre à la visite la carrière soutéraine derrière la propriété où les coquillages luisent sous les torches pendant la visite. Cette profondeur des couches coquillières prouvent l'inexactitude de l'hypothèse de la lentille de sable déposée pendant le Déluge.

Pourtant, en 1763, l'hypothèse revient sous la plume pontifiante du moine Dom. Dieudonné de l'abbaye d'Hauvillers (rendue célèbre par Dom. Pérignon). Lui y voit au contraire la preuve incontestable du Déluge : « Coquilles paroisses. Parlés par vos figures ; Prouvés le grand Déluge à nos races futures. Que vos tas de débris, votre déplacement. Avec vos traits marins, soient tout votre argument Que j'aime à contempler cette nombreuse suite, Constante dans ses plans, & toujours produite ! Étrangère à la Terre, elle peuple les Eaux D'où vient le Coquillage avec ses Vermisseaux. » Derrière un style curieux, le propos est sans ambiguité. Ce poème annonce un ouvrage sur les fossiles de la Montagne de Reims et sur le cabinet de Courtagnon, mais il ne semble pas avoir été publié...

Par contre, les fossiles de COurtagnon vont circuler et les possesseurs de certains exemplaires provenant de de sa collections seront de grands précurseurs comme Carl von Linnée, Samuel Gottlieb Gmelin, Alcide d'Orbigny, Jean-Baptiste Lamarck, Cuvier, Brongniart, etc.

PLAZIAT Jean-Claude & GUÉRIN Hubert, 2011. "Le Lutétien de la Montagne de Reims, du XVIIIe siècle (Courtagnon) à nos jours (Fleuryla-Rivière) : un apport essentiel à la connaissance des fossiles de l’Éocène et un espoir de renouveau". Bulletin d’Information des Géologues du Bassin de Paris, 48/4, pp. 3-15. REF : BMR : Carnegie fonds local RBG 1115

GOSSET Pol, "La famille Lagoille de Courtagnon", Annuaire-bulletin de la Société des amis du vieux Reims, Reims, Matot-Braine, 1911. URL https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5726284g, p59-70

DIEUDONNÉ, Dom., Le cabinet de Courtagnon , poëme... avec un discours préliminaire sur l'histoire naturelle des fossiles de Champagne, Châlons, chez Seneuze, 1763, URL https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5427122m

Voir suite : Géologie // gangues rustiques et rustiques figulines

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire