samedi 4 mars 2023

Livre // Véritable histoire du champagne

L'ouvrage Champagne ! par Wolikow rouvre les pistes pour sortir des légendes commerciales et intégrer une véritable histoire où le négoce ne débute pas vraiment avant la Révolution. Les maison qui se prétendent plus anciennes ne parlent en réalité que de ventes de quelques centaines de bouteilles rachetés à des moines et revendues sur les grandes tables de la haute noblesse... Un traffic négligeable pour des gens plutôt spécialisés dans les draps. C'est ce qui est raconté dans :

MUSSET Benoît , Vignobles de Champagne et vins mousseux. Histoire d’un mariage de raison (1650-1830), Paris, Fayard, 2008

GOUJON Bertrand, Entre France et Allemagne, les grands négociants en vins de Champagne : approches transfrontalières d’une élite patronale au cours du long XIXe siècle, 2017. https://shs.hal.science/halshs-01553651

Les preuves matérielles de l’histoire du champagne à Reims… Comme le fait entendre Offenbach « Le vin qui mousse à travers la Champagne. Me rendra fou ! » L’historiographie du champagne est excessivement légère, puisqu’elle tient de l’art de se faire mousser. Dans une ville qui se réinvente depuis le baptême de Clovis, les maisons de champagnes cultivent l’hagiographie et chacune s’attribue la première place, en inventant la prise de mousse, le remuage, l’extra-dry, la forme d’une bouteille, ou le commerce avec telle reine, tel roi, tel royaume… Certes, Louis XV a su faire du « vin mousseux » de Champagne un symbole de luxe et de libertinage, mais comment matérialiser cette épopée de l’unique et du véritable champagne ? D’autant plus que de nombreuses archives ont disparu pendant la Grande Guerre, ou restent dans les fonds privés des grandes maisons.

Le patrimoine architectural offre une donnée visible, permettant de quantifier le succès de ce vin en observant la ville. Un fait s’avère certain, les négociants se procurent au XVIIIᵉ siècle leur vin auprès des moines des abbayes. Du point de vue financier, la première fortune qui impacte l’apparence de la ville est celle de Jean Godinot (1661-1749), un texte de 1751 précise à son sujet : « Chanoine si célébré par le bon vin mousseux de Champagne avec lequel il avoit gagné des sommes immenses.Ce qui lui permet de participer financièrement au réaménagement de la ville, de créer un hôpital et des fontaines, dont il reste une local pour machine élévatrice associée à un château d’eau, sans doute l’un des plus anciens du monde…

La Révolution, l’émigration des nobles et la saisie des biens du Clergé rebattent certainement les cartes, mais les patrimoines restent invisible car les quantités en questions restent négligeables avant les années 1820-1830 où elles commencent à devenir industrielles. C'est à cette époque que les grands négociants du textile - comme Ponsardin et Pommery - commencent à creuser des caves à proximité de leurs hôtels particuliers. Il reste difficile d’établir un récit à partir de ces preuves matérielles, car il est trop bref. Enfin, il s’inscrit dans des mythes complétement opposés à ceux d'une tradition anarcho-syndicaliste datant du début du XXe siècle (qui s’exprime localement dans la Révolte des vignerons en 1911) et tend à opposer la ville à la campagne, le vigneron et le négociant, l’artisanat et l’industrie.

Mais cette seconde histoire concerne très peu le patrimoine rémois, car le négoce se porte particulièrement bien pendant la crise ! Mieux vaut se concentrer sur les occurences des grandes Maisons de champagne dans la bibliographie (Gallica) pour voir émerger cette "industrie"... ci-après : 

jeudi 2 mars 2023

Livre // l'Unique et le véritable

https://montable.hypotheses.org/780

 

Lecture suite à l'écoute des émissions sur l'économie et l'art culinaire (Emissions radio // France culture). Meyzie, Philippe, L'unique et le véritable : réputation, origine et marchés alimentaires, vers 1680-vers 1830, Champ Vallon, 2021.

L'auteur insiste sur un rapprochement historique du terroir au produit, plus exactement d'une ville (plus rarement d'un pays ou d'une région) représentative qui va inscrire une ou plusieurs "spécialités", présentes sur les tables des élites et venant parfois de loin. Cet ancrage territorial de la réputation va s'amplifier avec le développement d'un savoir-faire local. L'exemple le plus caractéristique est possiblement le champagne (p.80 avec bibliographie : Wolikow, Champagne !, 2021). Parmi les plus importants : fromage de Roquefort, jambon de Bayonne, charcuterie de Troyes, volailles du Mans... mais aussi le pain d'épice de Reims (qui va sombrer dans l'oubli). 

Reprise de l'idée réputation par l'opinion (Gloria Origgi, la réputation, PUF, 2015, p.67) à la page 88 : "une opinion mise en mots, répétée, une opinion que l'on fait circuler, bref une opinion qui est essentiellement un phénomène de communication" [...] "La reconnaissance des prunes de Brignoles, des volailles du Mans ou du pain d'épice de Reims s'étend au sein d'une culture alimentaire partagée où ils sont considérés les meilleurs, sans se réduire au cercle parfois étroit de ceux qui les consomment"

Réflexion sur l'ouvrage : en tant qu'historien, malgré le pragmatisme de son approche quantitative, l'auteur privilégie un relativisme (le sujet peut être délicat, le lecteur parfois idiot, on comprend) et il revient donc avec insistance sur l'aspect culturel de la réputation (opinion), dans une contradiction qu'il aime souligner avec l'idée de terroir (qui suppose en elle-même un ancrage au territoire). La relation entre les deux devient en effet paroxysmiques lorsque la science des Lumières entre en jeux et inscrit la production dans une technique plus que dans une terre associée à une nature spécifique du lieu. 

Il faut donc voir l'exemple cité de Reims, avec les arguments autour du sol crayeux comme "vérité positiviste" (indiquée par les savant du XIXe) et le développement spécifique des vignes sur un sol asséché + le creusement aisée des caves qui donnent des conditions optimales pour élaborer un vin pétillant, créant une tradition;, une réputation, etc. Le contre-argument découle du "progrès", puisqu'il devient en effet possible (et de plus en plus aisé) d'imiter ces conditions de manière artificielle, ce que prouvent la multiplication actuelle des caves dites "hors-sol" (très énergivores, passons...).

Ci-après, les extraits relatifs aux spécialités de Reims :