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https://montable.hypotheses.org/780 |
Lecture suite à l'écoute des émissions sur l'économie et l'art culinaire (Emissions radio // France culture). Meyzie, Philippe, L'unique et le véritable : réputation, origine et marchés alimentaires, vers 1680-vers 1830, Champ Vallon, 2021.
L'auteur insiste sur un rapprochement historique du terroir au produit, plus exactement d'une ville (plus rarement d'un pays ou d'une région) représentative qui va inscrire une ou plusieurs "spécialités", présentes sur les tables des élites et venant parfois de loin. Cet ancrage territorial de la réputation va s'amplifier avec le développement d'un savoir-faire local. L'exemple le plus caractéristique est possiblement le champagne (p.80 avec bibliographie : Wolikow, Champagne !, 2021). Parmi les plus importants : fromage de Roquefort, jambon de Bayonne, charcuterie de Troyes, volailles du Mans... mais aussi le pain d'épice de Reims (qui va sombrer dans l'oubli).
Reprise de l'idée réputation par l'opinion (Gloria Origgi, la réputation, PUF, 2015, p.67) à la page 88 : "une opinion mise en mots, répétée, une opinion que l'on fait circuler, bref une opinion qui est essentiellement un phénomène de communication" [...] "La reconnaissance des prunes de Brignoles, des volailles du Mans ou du pain d'épice de Reims s'étend au sein d'une culture alimentaire partagée où ils sont considérés les meilleurs, sans se réduire au cercle parfois étroit de ceux qui les consomment"
Réflexion sur l'ouvrage : en tant qu'historien, malgré le pragmatisme de son approche quantitative, l'auteur privilégie un relativisme (le sujet peut être délicat, le lecteur parfois idiot, on comprend) et il revient donc avec insistance sur l'aspect culturel de la réputation (opinion), dans une contradiction qu'il aime souligner avec l'idée de terroir (qui suppose en elle-même un ancrage au territoire). La relation entre les deux devient en effet paroxysmiques lorsque la science des Lumières entre en jeux et inscrit la production dans une technique plus que dans une terre associée à une nature spécifique du lieu.
Il faut donc voir l'exemple cité de Reims, avec les arguments autour du sol crayeux comme "vérité positiviste" (indiquée par les savant du XIXe) et le développement spécifique des vignes sur un sol asséché + le creusement aisée des caves qui donnent des conditions optimales pour élaborer un vin pétillant, créant une tradition;, une réputation, etc. Le contre-argument découle du "progrès", puisqu'il devient en effet possible (et de plus en plus aisé) d'imiter ces conditions de manière artificielle, ce que prouvent la multiplication actuelle des caves dites "hors-sol" (très énergivores, passons...).
Ci-après, les extraits relatifs aux spécialités de Reims :
p.32 : présence du jambon de Reims dans les Tablettes royales de la renommée (1782)
p.33 : confiture de poire de Reims dans Les soupers de la Cour de Menon (1755)
p.51 : Louis Liger, La Nouvelle maison rustique (1740), oppose au miel blanc de Narbonne le miel jaune de Champagne : "Quand [sic] au miel commun, celui de Champagne passe pour le meilleur de jaunes, à cause qu'en général le Terroir y est sec et les herbes fines et aromatiques"
p.67 : Louis Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris (1783) se plaint que les taxes soit les mêmes pour les vins de luxe "de l'excellent Bourgogne, du délicieux champagne" et pour "le vin qui déchire le gosier"...
p.75 : mention des poires rousselets de Reims dans les vingt fruits les réputés (avec 10 occurrences dans la base de données couvrant la période 1680-1830).
p.119 : reprend l'histoire du pain d'épice de Reims avec l'arrêt de baillage de 1571qui reconnaît à la "communauté" (corporation) la spécificité d'une production locale et le devoir d'en établir-respecter la réputation (référence à Pol Gosset, "Le pain d'épice de Reims, bull. du comité du Folklore champenois, 2e année, n°6, nov. 1931). Les règlements précise que les pains d'épices doivent être confectionnés avec du "bon miel" et des "bonnes épices" ; en 1614, il est ajouté qu'ils doivent être en forme de coeur... Puis l'auteur reprend l'article de l'Encyclopédie méthodique.
p.188 : "Le récit par Paul François Barrault-Royer de son passage à Reims fournit un exemple significatif de la manière dont les voyageurs du XVIIIe s. insèrent ces denrées renommées dans leur évocation des lieux visités. Après avoir décrit durant plusieurs pages la cathédrale de Reims et d'autres monuments anciens de la ville, le voyageur s'intéresse aux produits disponibles sur les marchés : "cette ville est fort connue par l'apprêt de quelques-uns de ses comestibles entre autres pas son pain d'épice qui est supérieur à celui de la Belgique ; ses fromages de porc, dont il se fait des transports continuels à Paris ; ses poires de Rousselet, qui se débitent dans des petites boëtes : en outre, elle obtient de Troyes des hures farcies de sangliers ; de Sainte-Menehould, des pieds de cochons, si recherchés ; de la Meuse, ses belles écrevisses rouges ; les chevreuils des Ardennes et les outardes des environs ; tous le petit gibier y abonde"
p.228 : "Les statuts des épiciers de Reims donnent un aperçu de leur champ d'activité. "Pourront lesdits Marchands Epiciers, acheter, vendre, troquer, changer & débiter tant en gros qu'en détail, en ladite Ville et Faux-bourgs de Reims, autres Lieux circonvoisins, et par tout le Royaume, Pays, Terres et Seigneureries de l'obéissance de sa Majesté, suivant les Us, et Coutumes des Lieux, les Marchandises qui suivent : Sçavoir, touts sortes d'Epiceries, Drogueries, Savonneries, Teintures, Détrempes, Couleurs, Huiles à peindre, Sucres, Cassonades, Dragées, toutes sortes de Fruits secs et verds, Confitures sèches et liquides, toutes sortes de Liqueurs et Essences, Or et Argent battu, Poix noir et blanche, Resine, Cire ouvrée et non ouvrée, Miel, toutes sortes de poissons de mer frais, sec et salé, Beure salé et fondu, Fromage de toutes sortes, Huile d'Olive, et de toutes autres sortes d'Huiles, Colle d'Angleterre, Flandre et autres, jambon de Mayence, et de Bayonne, Langues fumées, Savons madrés, et autres de toutes sortes, Cendres graveleuses, Cendres de forges et autres, et généralement toutes sortes de Drogueries et Epiceries"
p.285 Le pain d'épice de Reims est pris comme exemple d'une réputation qui s'étiole au fil du temps (XIXe siècle)
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